Réalisé par : Nicolas Winding Refn
Avec : Kim Bodnia, Mads Mikkelsen et Rikke Louise Andersson
Sortie : 26 octobre 2016
Durée : 1h33min
3D : Oui – Non
Synopsis :
L’amour et la violence à Copenhague. Léo et Louise vivent en couple dans un appartement insalubre. Découvrant que Louise est enceinte, Léo perd peu à peu le sens de la réalité et, effrayé par la responsabilité de sa nouvelle vie, sombre dans une spirale de violence. Au même moment, son ami Lenny, cinéphile introverti travaillant dans un vidéo-club, tombe fou amoureux d’une jeune vendeuse et ne sait comment le lui dire…
5/5
Nicolas Winding Refn, non content de traverser un moment de pur narcissisme dans sa filmographie, aurait tout eu à gagner en gardant la simplicité et l’efficacité dont il fait preuve dans Bleeder. Cinéaste de la marge au Danemark à l’époque, N.W.R ne s’était pas encore enfermé dans la course aux prouesses esthétiques et dans ses délires épileptiques. Tout en sobriété, le réalisateur nous plonge dans les dessous de Copenhague, un voyage plus autobiographique qu’autre chose. Film minimaliste et percutant, Bleeder est sans doute le chef d’oeuvre caché de l’artiste N.W.R. Et pourtant, il aura fallu attendre 2016 pour découvrir en France ce film sorti au Danemark… en 1999!
IL EN FAUT PEU POUR ÊTRE BON
En 1994, Quentin Tarantino décrivait « l’odyssée sanglante et burlesque de petits malfrats dans la jungle de Hollywood à travers trois histoires qui s’entremêlent. » Cinq ans plus tard, c’est une étoile alors encore montante du cinéma danois qui s’en inspire librement pour écrire son Bleeder. N.W.R puise dans les vielles conventions du thriller américain, et de ce qui a fait l’âge d’or d’un genre aujourd’hui en voie de disparition. On sait qu’il se laisse ouvertement dicter par des films comme Reservoir Dogs, ou Pulp Fiction. Il va en tirer la capacité de sublimer la banalité. Manifestement, N.W.R ne va pas nous raconter une histoire extraordinaire : celle de Léo, qui s’abandonne à un excès de violence pour couvrir son angoisse de devenir père. Dans un même temps, Lenny vit une passion secrète pour une jeune vendeuse. Mais il y a aussi le frère de Louise, la compagne de Léo, qui fera tout pour protéger sa sœur.
Toute la richesse se trouve dans la façon dont les personnages vont être générateurs de leur propre fiction. Tout le film se présente comme un grand espace de représentation où chaque personnage va s’ouvrir et révéler son « moi intérieur ». Un peu comme les Dogs du premier film de Tarantino, tous les parcours de nos protagonistes se rassemblent autour de longues discussions aussi vaines que réfléchies, ici à propos de cinéma. En effet, Lenny, son patron, Léo et son beau frère se retrouvent en « catimini » pour visionner des films, sorte de Fight Club du 7e art. Hommage donc à toute une génération du cinéma américain, mais aussi à l’essence même du cinéphile, ce pour quoi il existe, c’est-à-dire pour « ne parler que de film. » C’est un peu le cercle que trace Bleeder, un film fait par un cinéphile, pour parler de cinéphilie, la sienne entre autres. Car il ne s’agit pas d’autre chose que de N.W.R. lui-même au fond. Mais à la différence de ses deux derniers films, Bleeder est plus autobiographique que narcissique.
TOI MON MOI
« Lenny, cinéphile introverti travaillant dans un vidéo-club, tombe fou amoureux d’une jeune vendeuse et ne sait comment le lui dire. » Refn ne se garde pas de creuser l’analogie entre Lenny, le personnage interprété par Mads Mikkelsen, et sa propre personne. Il le dit lui-même, Bleeder est son film le plus autobiographique : l’intrigue se passe chez lui, dans sa ville natale, et il rencontre sur le tournage sa future femme : Liv Corfixen. C’est comme si N.W.R s’immergeait au point de vivre sa propre fiction. Et toute sa filmographie est en fait l’histoire de sa vie, un réalisateur qui s’invente toujours un peu plus dans chaque nouveau film. Et c’est ce qui le fait basculer peu à peu dans le péché narcissique. Bleeder annonce ce que seront ses obsessions, ses peurs : l’amour et la violence, l’angoisse de la paternité. Tant de thématiques que le réalisateur prolonge dans son film suivant, Drive, et qui place les deux films dans une parfaite continuité narrative.
Bleeder est le film le plus personnel et de facto le plus réussi de N.W.R, celui qu’il faut en tout cas le plus retenir.