Mademoiselle (2016) de Park Chan-Wook

Après son interlude américain avec l'excellent "Stoker" (2013), le réalisateur coréen Park Chan-Wook revient avec un film dont les critiques dythirambiques donnent un goût à la fois prometteur et incompréhensible. En effet, comment le Festival de Cannes a pu laisser ce film repartir bredouille ?! Park Chan-Wook, déjà signataire du chef d'oeuvre "Old Boy" (2004) qui n'est autre que LE plus grand film du 21ème siècle à ce jour, ajoute une corde à son arc en réalisant son premier film d'époque dont, pour l'anecdote, le titre générique a déjà été bien des fois utilisé avec "Mademoiselle" (2001) de Philippe Lioret, (1966) de Tony Richardson ou (1930) de Yasujiro Ozu... Adapté librement du roman "Du bout des doigts" (2002) de Sarah Waters, le cinéaste transpose cette histoire londonienne des années 1860 à l'époque de la colonisation japonaise en Corée dans les années 1930. Co-scénarisé avec Chung Seo-Kyung avec qui il avait déjà travaillé sur l'excellent "Thirst, ceci est mon sang" (2009), Park Chan-Wook signe un drame en costume mais qui reste diablement moderne dans le genre, qui n'est autre qu'un thriller érotico-psychologique.

Mademoiselle (2016) de Park Chan-Wook

Une riche japonaise qui vit sous le joug d'un oncle tyrannique pour qui elle sert de liseuse particulière pour des soirées particulières, embauche une nouvelle servante coréenne qui est en fait un maillon d'une escroquerie formentée par un comte. Les histoires de servantes ont par le passé déjà offert des pépites au cinéma coréen avec "La Servante" (1960) de Kim Ki-Young et "The Housemaid" (2010) de Im Sang-Soo. Cette fois il y a une dimension lesbienne qui n'est pas anodine et une construction narrative qui ne l'est pas moins. Le film se divise en trois parties pour autant de points de vue à la manière de "Rashomon" (1950) de Akira Kurosawa et qui, au fil du récit, permettent à l'intrigue de se dévoiler. La dimension lesbienne ajoutée au soin esthétique rappelle forcément "The Duke of Burgundy" (2015) de Peter Strickland à la différence près que le cinéaste coréen à une forte propension à instaurer une atmosphère d'un cynisme pervers dans la droite lignée de ses thrillers contemporains. Il y a du Stanley Kubrick chez Park Chan-Wook, autant dans le fond que dans la forme. Par contre, notre seule déception, reste la partie "charnelle" des scènes d'amour lesbiens. En effet, une séquence entre autre, où on se dit que oui Park Chan-Wook a bel et bien vu "La vie d'Adèle" (2013) de Abdellatif Kechiche ; est-ce conscient ou pas ?! Est-ce un hommage ou pas ?! En tous cas cette séquence qu'on n'appréciait guère déjà chez Kechiche (séquence qui tient plus du fantasme machiste que d'une réelle scène d'amour lesbienne comme en avaient témoigné plusieurs intéressées à l'époque) parasite un peu le film. Magnifiquement filmé de toute façon mais trop démonstratif et surtout trop estampillé Kechiche...

Mademoiselle (2016) de Park Chan-Wook

Néanmoins Park Chan-Wook ne s'arrête pas là (magnifique dernier plan qui ramène à "La Montagne Sacrée" en 1973 de Alejandro Jodorowsky) et digère les autres références de telle manière qu'elles sont incorporées dans le canevas de son oeuvre. Esthétiquement le film est sublime (costumes comme décors), mis en valeur par l'utilisation d'un objectif anamorphique (genre cinémasope). Et malgré le climax malsain et cynique le récit n'est pas dénué d'humour, avec quelques scènes marquantes qui rappellent que nos protagonistes sont bel et bien humains et que le ridicule est aussi l'apanage des plus vénéneux. Des personnages tous plus pourris les uns que les autres d'où émergera tout de même une histoire d'amour déchirante à défaut d'être prometteuse ! Des personnages joués par un casting audacieux puisqu'en son sein il y a bel et bien une révélation. Aux côtés des "anciens" Kim Hae-Sook (déjà dans "Thirst"), Jung Woo-Ha (vu chez l'excellent réalisateur coréen Na Hong-Jin), Jin Woong-Cho (vu dans le très bon thriller "Hard Day" de Kim Seong-Hun), Sori Moon (justement déjà dans "The Housemaid") nous trouvons les deux rôles principaux interprétés respectivement par Kim Min-Hee (vu dans "Un jour avec un jour sans" de Sang-Soo Hong) et surtout l'incandescente Kim Tae-Ri, inconnue jusqu'alors qui joue à merveille entre malice et innocence. Park Chan-Wook signe donc un drame passionnel tortureux et un thriller érotique cruel et jubilatoire d'une beauté à couper le souffle. Sans doute pas un chef d'oeuvre mais on n'y est pas loin.

Note :

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