Coup de cœur pour une très grande partie de notre équipe, Captain Fantastic a été acclamé à travers tous les festivals où il a été présenté. Matt Ross, le réalisateur, nous a accordé quelques minutes au Festival de Deauville.
Vous pouvez lire notre critique du film sur ce lien.
Bande-annonce à retrouver en bas de l’article.
Synopsis :
« Dans les forêts reculées du nord-ouest des Etats-unis, vivant isolé de la société, un père dévoué a consacré sa vie toute entière à faire de ses six jeunes enfants d’extraordinaires adultes. Mais quand le destin frappe sa famille, ils doivent abandonner ce paradis qu’il avait créé pour eux. La découverte du monde extérieur va l’obliger à questionner ses méthodes d’éducation et remettre en cause tout ce qu’il leur a appris. »
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Estelle Lautrou : Captain Fantastic a été inspiré de votre propre expérience. Dites m’en plus.
Matt Ross : C’est moins inspiré de ma propre expérience, que de mon aspiration à être un bon père. Il y a quelques éléments autobiographiques. Ma mère a vécu dans des communautés en Californie du Nord et dans l’Oregon. C’était pendant les années 80, non pas les années 60, ces personnes n’étaient pas des hippies. Mais on a vécu dans les montagnes, au milieu de nulle part. Certaines maisons avaient l’eau courante et l’électricité, certaines non. On dormait dans un tipi quand venait l’été. Ca, c’est autobiographique, mais ce n’est pas vraiment la raison qui m’a poussé à écrire ce film. Cela fait partie de l’intrigue, ça vient appuyer l’aspect dramatique, conflictuel, c’est ce qui fait que les personnages évoluent, qu’ils commencent quelque part et finissent ailleurs. Mais je n’ai pas écrit le film pour parler de l’instruction à domicile, de la vie en dehors de la société ou des maladies mentales. Ce sont des parties de l’histoire, mais pour moi, le cœur de la narration, c’est « être parent », c’est-à-dire les questions que j’avais sur comment être un bon parent, les valeurs que je voulais transmettre à mes enfants. Le film est une forme extrême d’ « éducation consciente » dans un sens ; il soulève des questions sur ce que cela signifie, sur les répercussions de ce type d’éducation.
C’est votre second long-métrage. Entre les deux, il y a eu la série Silicon Valley. Parlez-moi du processus d’écriture en termes de gestion du temps, d’organisation mais aussi d’état d’esprit.
Matt : Quand j’ai écrit Captain Fantastic, j’étais en train de montrer mon dernier film, 28 Hotel Rooms, donc c’était à peu près en 2011-2012, avant Silicon Valley. Ensuite, ça a pris quelques années à se faire, en partie parce que j’ai attendu Viggo. Il a vite été partant, mais à ce moment-là, il était énormément pris. Mais peu importe, je le voulais lui et je l’attendais. Et puis il a aussi fallu des mois et des mois pour que tout le film se finance et pour qu’il se fasse. Puis Silicon Valley a débarqué. Je montais le film et en même temps je jouais dans Silicon Valley. Je n’ai jamais fait les deux en même temps en réalité, mais j’ai dû trouver une sorte d’équilibre.
Vous parliez de Viggo. Pourquoi l’avoir choisi, lui ?
Matt : Au départ, je n’avais personne en tête pour interpréter le rôle de Ben (le papa), parce que je pense que ce n’est pas prudent, on ne sait jamais qui on va pouvoir avoir, qui acceptera le projet ou qui le refusera, et quelles seront ses disponibilités. Je ne pensais à personne en particulier, mais mon premier choix a été Viggo. Il apporte de la gravité, de l’intégrité à tout ce qu’il fait, de l’intelligence, de la crédibilité et physiquement c’était ce qu’il fallait. Dans le film, on est dans des conditions de vie extrêmes. Et je devais avoir la conviction que quelqu’un pouvait vivre ça. Viggo me donnait cette conviction. Au-delà de ça, c’est un grand artiste. J’avais envie de collaborer avec quelqu’un d’aussi dévoué, intelligent et talentueux sur le plan artistique, que lui. Dans une certaine mesure, c’est une prise de position artistique. De plus, nous nous définissons en fonction des personnes avec qui nous collaborons. J’ai préféré collaborer avec quelqu’un que j’admire, et qui pourrait élever le film.
Comment avez-vous dirigé tous ces acteurs afin de donner de la crédibilité à cette famille très soudée ?
Matt : Ca a commencé par un bootcamp, un camp d’entraînement. On a fait venir tout le monde plusieurs semaines avant. Tous les jours ils avaient des cours, du matin au soir. Ils faisaient de l’escalade. Les deux jeunes adolescentes du film ont appris à chasser, car dans le film elles vident une biche. Elles ont dû apprendre à se servir d’un couteau, elles ont appris l’espéranto. Viggo apprenait la cornemuse, George MacKay faisait 4 heures de yoga chaque jour. Tous les jours ils avaient un entrainement physique. C’est cela qui nous a permis de les rapprocher, ça les a soudés. . En réalité, le but n’était pas qu’ils deviennent des maîtres absolus dans toutes ces disciplines. C’est impossible en quelques semaines de maîtriser complètement une compétence, mais cela permet de nouer des liens. Ils sont devenus amis, ils ont commencé à regarder Viggo comme leur « leader », comme leur meneur de groupe, comme leur père, comme leur ami. Et quand on a commencé à tourner, ils avaient déjà tous de très bonnes relations et un sens particulier de la communication. Ils avaient leur langage. Et ils s’appréciaient tous, ça aide !
Pensez-vous que Ben est un bon, ou un mauvais père ?
Matt : Pour moi c’est un super père. C’est un père fantastique. Et c’est le titre ! Je pense que le film pose la question de ses faiblesses, car dans ses efforts pour ne pas être rigide, pour établir un discours ouvert en tout temps, il crée en réalité une sorte de rigidité. Il est sans nul doute aveugle sur certains points très importants : il ne voit pas la maladie de sa femme, il ne voit pas le manque de socialisation de ses enfants. Il a besoin de rectifier certaines choses. Le film suit en quelque sorte son évolution en tant que parent. Mais je pense que c’est un père extraordinaire.
La tante des enfants, qui elle, vit normalement, dit qu’il y a « des concepts que les enfants sont trop jeunes pour comprendre ». Pensez-vous que cela soit vrai ?
Matt : Oui, probablement. Je montre à mes enfants énormément de choses, on parle à propos de beaucoup de sujets. Mais je ne montrerais pas à mon garçon de neuf ans une vidéo de décapitation par l’Etat islamique. Je pense qu’il est trop jeune pour voir ça. Il m’a posé des questions sur Daesh, il m’a demandé ça quand nous écoutions la radio tous les deux. On ne regarde pas beaucoup les infos à la télévision. On préfère la radio. Il me pose des questions et je ne pense pas qu’il soit trop jeune pour comprendre ce qui se passe dans le monde, mais je n’ai pas besoin de lui montrer visuellement ces images. Je pense que même un adulte n’a pas besoin de voir ces images. Quand il y a eu les attentats à Paris, nous en avons parlé. Mais je n’ai pas besoin de lui montrer les vidéos de gens morts qui ont circulé, pour contextualiser ça. C’est beaucoup trop. Il y a juste des images que les enfants sont trop jeunes pour voir, c’est traumatisant. Mais ils ne sont jamais trop jeunes pour en parler. Avec mon fils on parle de sexe, on parle de violence, on parle du Monde. Pourquoi pas ?
Comprenez-vous que des personnes aient envie de vivre en marge de la société de consommation, et d’après vous, pourquoi font-elles ce choix ?
Matt : Bien sûr, je peux entièrement comprendre ce choix. Je pense que beaucoup de gens (je ne m’exprime pas pour la France, mais pour les Etats-Unis), se dissocient de leur communauté, et de leur gouvernement. Les gens peuvent avoir beaucoup de raisons de fuir dans les bois. Parfois les gens sont émotionnellement instables et ils ne réussissent pas s’adapter à la vie en société. Dans Captain Fantastic, cette famille se débrouille très bien. Ils ne fuient pas parce qu’ils n’arrivent pas à vivre en société. Parfois, certaines personnes fuient parce qu’elles ont peur que leur gouvernement leur prenne leurs armes, leurs droits. Ce n’est pas le problème de cette famille non plus. Il y a des gens de gauche, de droite, ou des gens qui n’ont pas d’opinion politique. Mais je pense que l’impulsion chez bon nombre de personnes qui ont entre 20 et 30 ans, ce n’est pas une raison politique, mais plutôt l’envie de se rapprocher de la nature. Ils veulent faire pousser leurs propres fruits et légumes, ils veulent être autosuffisants. Ils veulent être connectés davantage avec le monde tel qu’il est à la base, vivre au rythme des saisons, construire leur propre logis. Bref, avoir plus de contrôle sur leur environnement à eux. Je pense que c’est simplement beau. Et sage.
Dans Captain Fantastic, que voulez-vous dire à vos spectateurs à propos de la religion ?
Matt : Je ne pense pas que j’ai envie de passer un message en particulier. Les films qui veulent affirmer quelque chose me semblent toujours condescendants. Moi, je veux poser des questions, je veux montrer et non pas dire, et je veux que le spectateur en tire ses propres conclusions. Mais si on me demande personnellement, pas en tant que réalisateur mais en tant qu’individu, je pense qu’un des problèmes majeurs aux Etats-Unis, c’est que l’Eglise et l’Etat ne sont pas assez séparés. Je ne vois aucun politicien français parler de son amour pour Mohammed ou son amour pour Jésus. Ils ont leur vie personnelle et leur religion ne regarde qu’eux. Et publiquement, ils parlent de politique. Aux Etats-Unis, au fil du temps… c’est sur notre monnaie, c’est dans « In God we trust » alors je ne sais pas, peut-être que ça a toujours été là finalement, mais il manque cette séparation entre ces deux institutions qui je pense, peut être dangereuse, parce que tout le monde ne croit pas en ce que toi tu crois. Et il ne devrait pas y avoir une religion dominante. Ca peut être malsain et destructeur pour l’humanité. Mais en tant que réalisateur, je ne pense pas que mon film dise ça.
Captain Fantastic a eu une standing ovation, ici à Deauville. Vous en avez eu une au Festival de Cannes… Comment vous sentez-vous quand vous voyez ça ?
Matt : Je suis surpris et choqué et incroyablement flatté. En fait c’est… c’est exactement ce que vous pensez ! Je suis incroyablement heureux. Je suis toujours surpris que les gens réagissent de la sorte. Bien entendu, je suis content, c’est mieux que de se faire huer, mais en réalité on se sait jamais, on ne peut pas prévoir si les gens vont s’intéresser au film. Ce que tout cela m’indique, c’est qu’ils ont vraisemblablement été touchés, intellectuellement et émotionnellement. Et j’en suis heureux, car si c’est vrai, alors j’ai réussi mon travail.
Quel est votre film préféré ?
Matt : Il y en a trop ! Hm, Blade Runner, Manhattan ou Annie Hall, Le Parrain, que ce soit le premier ou le second. Ils sont tous les deux bons. Peut-être le deux est encore meilleur. Et Apocalypse Now !
Quel est le pire film de tous les temps ?
Matt : Oh, je ne peux pas répondre ! Je n’ai pas vraiment envie de dire du mal… Il y a trop de mauvais films aussi !
Et quel est le film nul que vous aimez en secret ? Votre plaisir coupable.
Matt : Le premier Point Break. C’est un super film nul. Ce n’est même pas un film nul, c’est un film loufoque, mais il est super.
Propos recueillis par Estelle Lautrou.
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Merci à Matt Ross pour cette Fantastic interview !
N’hésitez pas à jeter un coup d’oeil ici. Et si ce n’est déjà fait, foncez voir Captain Fantastic en salles.
(Satisfait ou remboursé …. aux frais du rédac chef de Pulp Movies !)