Sortie le 9 novembre 2016 Réalisation : Asghar Farhadi Durée : 2h03
Avec : Shahab Hosseini, Taraneh Alidoosti, Babak Karimi, Farid Sajjadihosseini...
Production : Memento Films Production, Asghar Farhadi Films Production, Arte France Cinema
Distribution : Memento Films Distributions
Non-dits et redondances
Emad et Rana sont un jeune couple de comédiens vivant à Teheran. Lorsqu'ils doivent quitter leur immeuble terriblement bien parti pour s'effondrer, l'un de leur collègue leur propose de louer un des appartements qu'il possède. Mais ce qui s'apparentait à une aubaine se transforme en cauchemar lorsque Rana se fait agresser et que le lien entre cet incident et l'ancienne occupante des lieux est établit...
Après une parenthèse française ( Le Passé) Asghar Farhadi s'en est retourné au pays pour... continuer à faire ce qu'il sait faire.
Cet ingénieur tacticien des sentiments décide, encore une fois, de mettre en scène les petits-gros drames de la vie au travers d'un couple dont les relations conjugales ne crient pas bonheur et allégresse. Toujours aussi doué dans la construction, l'architecte des émotions sait créer et développer son histoire dans une atmosphère claustrophobique où le spectateur se retrouve peu à peu enfermé dans l'esprit des personnages et les pièces de ce satané appartement. Avec une mise-en-scène aussi précise que l'œuvre d'un horloger suisse, Farhadi fait sortir le Alfred (Hitchcock) qui sommeille en lui et donne vie à ce récit implacable où la fin n'est jamais annoncée. Le réalisateur iranien n'a pas son pareil pour décrire la vie et sait habilement amener la touche " Iran " sans que le pays soit le drame principal mais bien un artisan qui travaille à situer l'intrigue et à l'alimenter. Là est une des force de son cinéma : rappeler au monde que l'on vit un peu pareil là bas aussi. En choisissant de se concentrer sur l'art, la coqueluche iranienne ( Parenthèse anecdote : nous citons nos sources de manière fort certaine puisque nous avons pris par hasard l'avion avec le cher monsieur, pour retourner au bercail nous même, et ce fut un peu comme partager le vol de Beyonce tant les voyageurs étaient fiers et heureux de partager ces cinq heures trente avec Asghar Farhadi. Vous l'aurez compris, cet homme c'est un peu le Barack Obama de là bas. Fin de la parenthèse anecdote) a réussi ce que tout bon artiste aspire à faire : trouver l'équilibre entre fiction et réalité, sans que l'un empiète sur les plates bandes pelliculaires de l'autre.
Mais. Ce créateur d'ambiance hors-pair - parce qu'il faut le souligner - s'est légèrement laissé emporter sur ce coup là. Malgré qu'il n'y est rien à reprocher à la technique et à l'écriture, le film offre trente minutes de trop pour compenser un manque d'un petit je-ne-sais-quoi. Le tout se tient jusqu'à un certain point, la nervosité et l'angoisse s'insinuent parfaitement bien, mais un moment c'est le too much qui l'emporte. Comme chacun ne sait pas forcément, trop de non-dits tuent le non-dit, et Le Client se complait à ne rien dire. Aussi bien amenés et interprétés que peuvent être les sentiments, le film finit par tourner en rond tendant vers une fin estampillé du sceau minero-asiatique (et asiatique) " over drama ", et, enfer et damnation, d'un petit côté moralisateur. Le mystère sur " ce qu'il s'est vraiment passé " ne fonctionne pas dans toutes les histoires, et force est de constater qu'ici cela ne sert pas vraiment le récit. Bien que l'on comprenne l'intention et l'envie de se concentrer uniquement sur les conséquences émotionnelles d'un drame, le problème est, qu'au delà de vouloir savoir de quoi il retourne vraiment, cette incertitude tronque les émotions et empêche à un certain point le public de rentrer plus à fond dans l'histoire. L'isolation des sentiments des personnages vis-à-vis du bouleversement œuvre finalement à l'en contre de l'idée première et bâillonne le récit en faisant obstacle à créer l'entité cause-conséquence. La cause, présente mais trop floue, consigne en quelque sorte la conséquence, créant une retenue dans la sensation des personnages, mais aussi dans celle du spectateur.
Ce bémol, que l'on n'aurait pas forcément penser reprocher un jour à Farhadi, s'explique peut-être par l'étape presque inévitable de " la contemplation se son propre travail " par laquelle beaucoup de grands artistes passent. Comme l'enfant qui se passionne par son reflet dans un miroir, le réalisateur paraît se livrer à l'observation de la mécanique de son talent et nous sert un film à tendance auto-contemplative, soit un film réussi et irréprochable appliquant à la lettre les règles déjà établies, mais qui, de ce fait, manque du petit supplément d'âme qui a pourtant su convaincre le jury du Festival de Cannes (prix d'interprétation masculine et du meilleur scénario)...
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