VAIANA, LA LÉGENDE DU BOUT DU MONDE : Fury Sea ★★★★★

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Le traditionnel Disney de Noël nous plonge dans une magnifique aventure épique, revenant aux fondamentaux de l’écriture mythologique. Imparable.

Avec l’excellent Zootopie, sorti en début d’année, les studios d’animation Disney ont su livrer une magnifique profession de foi humaniste, à la fois universelle et terriblement actuelle, déguisée derrière un divertissement brillant et foncièrement progressiste, non pas pour avoir choisi un personnage principal féminin badass et autonome, mais par le fait de ne pas le marteler. En effet, la firme aux grandes oreilles semble enfin s’émanciper de la mode du clin d’œil post-moderne initiée par Dreamworks, remettant en cause le modèle parfois sexiste défendu par son créateur dans l’adaptation de certains contes de fées. Si des films comme Raiponce et La Reine des neiges se sont avérés plus que sympathiques, ils étaient néanmoins plombés par leur volonté de détourner les clichés sur les princesses en appuyant leur propos, ce qui équivaut à l’action humanitaire d’une star n’arrêtant pas de vanter ses donations aux médias. Le projet devient contre-productif, voire opportuniste, au-delà de briser l’immersion dans le récit. Dès lors, la présentation de Vaiana, la légende du bout du monde laissait craindre un retour au film de princesse nouvelle génération complaisant dans son « féminisme de rédemption », ne faisant de Zootopie qu’une parenthèse trop courte. Mais heureusement, Disney a décidé de confier le projet à deux de ses chouchous : Ron Clements et John Musker, réalisateurs de La Petite Sirène, d’Aladdin ou encore de La Planète au trésor, métrages modernes dans leur approche des mythes qui évitaient pourtant de tomber dans la complaisance méta, si l’on enlève cette maladroite sortie de route qu’était La Princesse et la grenouille.

Ainsi, Vaiana frappe en premier lieu par le puissant premier degré avec lequel est déroulé son histoire. Il aurait pourtant pu marquer le simple fait de s’attaquer à un folklore peu exploité dans le cinéma de divertissement (la mythologie polynésienne), voire de le comparer à une culture plus occidentale. Mais non, le film plonge tête la première dans sa folie créatrice, nous immergeant en quelques secondes dans un spectacle sensitif magnifié par la qualité de l’animation, festival de couleurs où la qualité des textures questionne notre perception d’un photoréalisme de plus en plus bluffant. Comme l’héroïne, nous voilà attirés par un océan que l’on aurait presque envie de toucher, page blanche (enfin, bleue) sur laquelle doit s’écrire une aventure au passage éphémère, mais qui s’inscrit comme fondatrice pour son personnage et pour la mythologie qu’elle sert. En partant du canevas archétypal du voyage du héros tel qu’énoncé par Joseph Campbell, Vaiana en devient l’une des plus belles itérations récentes, loin de rentrer au forceps des codes qu’Hollywood a souvent tendance à utiliser comme cache-misère théorique au point de les vider de leur sens.

Ici, Clements et Musker mettent au contraire en exergue leur foi inébranlable dans l’universalité des mythes, et fondent le leur sans arrière-pensée, avec la seule volonté d’offrir au public (et notamment aux plus jeunes) un pur récit d’aventures épique. L’ensemble n’en est que plus cohérent par la force de ses références parfaitement assimilées, qu’il puise dans divers médias pour les mêler dans une aura intemporelle, à laquelle il offre une identité propre et non rabâchée. On pense autant aux peintures maritimes de Turner qu’à The Legend of Zelda : The Wind Waker, quand ce ne sont pas des films comme Abyss (pour son eau dotée de conscience), Waterworld ou même Mad Max : Fury Road, modèle assumé des cinéastes lors d’une séquence où le bateau de Vaiana est abordé par les navires d’une civilisation de noix de coco vivantes, dont le mode de vie et les coutumes sont croquées en quelques minutes.

Et du chef-d’œuvre de George Miller, Vaiana lui emprunte également son propos sur la transcendance de l’homme, sur sa quête vers le meilleur de lui-même. Une quête qu’il ne traduit pas uniquement par la beauté des décors que l’héroïne traverse, mais aussi par la puissance d’un découpage précis et épuré, définissant plus ses personnages par leurs actions que par leurs paroles. Comme souvent chez Disney, ces dernières prennent d’ailleurs une autre dimension sous la forme des chansons jouissives et soignées par Opetaia Foa’i et le génial Lin-Manuel Miranda (mention spéciale à l’entêtante You’re welcome). Bien plus subtil et pertinent que La Reine des neiges quand il s’agit de transcrire le tourment d’une personne qu’on prive d’être celui qu’il désire être, le film associe à merveille ce génie musical à une esthétique majestueuse, voire même terrifiante lorsque des divinités et des monstres se réveillent pour la possession d’un cœur volé par le demi-dieu Maui, compagnon de route de Vaiana que cette dernière est censée aider à réparer l’erreur risquant la fin de leur monde. C’est ce seul personnage, à la fois irritant et attachant, qui nous rappelle à quel point Vaiana est avant toute chose un pur film de Ron Clements et John Musker. Métamorphe grâce aux facultés de son hameçon magique offert par les Dieux, il pioche dans le même capital sympathie que le Génie d’Aladdin. Ses émotions se traduisent visuellement, notamment avec cette brillante idée d’animation consistant à mettre en mouvements ses tatouages qui lui confèrent un petit alter-ego d’encre. Une bien belle façon de mettre en valeur la force évocatrice d’une dessin ou d’un modèle 3D auquel le cinéma donne vie, et auquel il confère des sentiments. En bref, une mise en abyme souvent avancée par les réalisateurs, qui trouvent aussi l’occasion de pousser encore plus loin certaines de leurs idées habituelles, à l’instar du fameux sidekick animalier, prenant ici la forme d’un coq encore plus stupide et désopilant qu’à l’accoutumée.

Devant cet équilibre gracieux entre le classicisme des codes disneyiens et leur renouveau, on ne peut que remercier Clements et Musker de ne pas avoir cédé aux sirènes du « féminisme de rédemption » évoqué plus tôt, qui aurait desservi l’universalité et l’intemporalité du propos. A l’inverse, ils évitent au maximum (à l’exception de deux-trois blagues méta que l’on pardonnera) tout rappel à nos sociétés contemporaines, nous rappelant par là même à quel point les nôtres sont arriérées. Au lieu de porter une mise en valeur de la femme finalement aussi sexiste que son dénigrement, le film ne fait aucune distinction des sexes. Maui est un demi-dieu arrogant envers tous les humains, pas juste un machiste. Il apporte autant à Vaiana qu’elle ne lui apporte, lui qui a voulu jouer à Prométhée en offrant un nouveau pouvoir aux hommes.

Le long-métrage est une œuvre du partage, du besoin de l’être humain de se façonner au contact des autres, tel Maui dont les tatouages évoluent au fil de ses rencontres. Vaiana évoque l’eau comme un lien, comme une matière irréelle ayant pour seul but de motiver notre soif d’aventures, tel l’animation envers ses spectateurs. En cela, le film est peut-être l’œuvre de 2016 se rapprochant le plus de la profession de foi humaniste de Mad Max : Fury Road (on y revient toujours !). Une œuvre qui nous soumet le meilleur de nous-mêmes, loin des apparences qui nous consument. Pour un studio souvent taxé de conservatisme, Disney vient probablement de livrer son plus beau pied de nez, la preuve que le vrai progressisme s’inscrit dans son effacement, dans sa mise à application directe au sein de la tradition des récits mythologiques qui façonnent nos civilisations. Le parcours est connu sans vraiment l’être. Il est semé de variations, d’éléments qui le transforment sans le dévier de sa voie. Maui l’exprime à sa manière, lorsqu’il affirme qu’il faut « imaginer le voyage dans son esprit ». Il est déjà tracé mais ne demande que notre empreinte, le courage de faire ce premier pas pour aider à le construire, comme Vaiana dans l’eau. De cette façon, si Disney représente une partie importante de la culture populaire contemporaine, le studio vient peut-être d’offrir à celle-ci une merveilleuse définition.

Réalisé par Ron Clements et John Musker, avec les voix (en VO) de Auli’i Cravalho, Dwayne Johnson, Nicole Scherzinger

Sortie le 30 novembre 2016.