Amerrissage réussi pour Tom Hanks sur les eaux eastwoodiennes.
Qui mieux que Clint Eastwood pour raconter l’héroïsme ordinaire ? Désormais rompu à l’exercice du biopic et après American Sniper l’année dernière, Eastwood remet le couvert et retrace avec Sully l’histoire vraie de Chesley Sullenberger qui, le 15 Janvier 2009, est parvenu à poser l’avion qu’il pilotait sur le fleuve Hudson à New York, après la perte de ses deux réacteurs. Une manoeuvre exceptionnelle qui aura sauvé la vie de l’ensemble des passagers et de l’équipe à bord. Beaucoup l’ont rapproché de Flight de Robert Zemeckis sur sa seule prémisse, mais force est de constater que Sully adopte une toute autre approche, bien plus complexe. Loin du canevas traditionnel qui voudrait séparer l’exploit en tant que tel de ses conséquences, le film préfère au contraire imbriquer l’avant et l’après dans un même mouvement narratif. Sans jamais se disperser, l’intrigue épouse l’intériorité du commandant Sully, qui revit l’accident et en modifie parfois l’issue au gré d’épisodes hallucinatoires tragiques. Un choix qui altère ainsi judicieusement l’enchaînement logique des faits. Comment tout cela est-il arrivé ? Pourquoi avoir opté pour la solution la plus dangereuse à priori ? Des questions qui assaillent le commandant, en proie au doute, alors même que son courage a fait foi et ne peut légitimement souffrir d’aucune contestation possible. Et pourtant…
Fidèle à ses obsessions, Eastwood oppose son héros aux autorités et cible très justement l’absence de reconnaissance au profit d’une incrimination expéditive. L’individu face au groupe, l’instinct face à la réglementation, autant de contradictions que le film explore avec beaucoup d’acuité, non sans humour. Il faut voir par exemple comment les enquêteurs, impitoyables à l’égard du commandant, se ridiculisent en orchestrant des simulations absurdes, avant d’admettre l’importance du facteur humain dans l’équation. C’est là tout le cheminement de Sully qui lutte aussi bien dans les airs que sur terre pour prouver humblement la victoire de l’homme sur la « machine » (l’avion d’une part, le code de conduite du pilote d’autre part). C’est en cela que le film propose une vision atypique et complexe de l’héroïsme, ici perçu comme un comportement irrationnel et donc condamnable. Suivre un héros hanté voire traumatisé par son propre exploit a quelque chose de très étonnant aussi, et montre bien à quel point sauver des vies n’a rien de banal et implique son lot de bouleversements. Peut-être pourrait-on simplement regretter l’intervention de deux flash-backs sur la jeunesse de Sully qui diminuent la portée supposée exceptionnelle du « miracle sur l’Hudson ».
Par ailleurs, impossible de passer sous silence la présence de l’immense Tom Hanks dans le rôle-titre. L’âge aidant sûrement, l’acteur ne cesse d’élargir sa palette de jeu, alliant à sa bonhomie désormais légendaire une inquiétude plus souterraine. Steven Spielberg l’avait également dirigé ainsi dans Le Pont des Espions et Eastwood a sans doute compris la belle fragilité du comédien derrière la stature chevaleresque. Hanks, cet éternel homme debout, qui fléchit néanmoins un peu plus de film en film. Voilà l’horizon qui semble s’offrir à l’acteur : accepter dignement le poids de ses multiples combats, assumer la charge engrangée par chacun de ses personnages jusqu’alors. Lucidité et maturité, tels sont les maîtres mots qui définissent aujourd’hui la carrière du comédien ainsi que le cinéma eastwoodien, qui glorifie moins béatement ses héros qu’à l’époque, leur octroyant le droit de se remettre en question. Si Sully bénéficie de la technique toujours irréprochable de son metteur en scène, il brille surtout par sa modestie et en tire, paradoxalement, sa supériorité.
Réalisé par Clint Eastwood, avec Tom Hanks, Aaron Eckhart, Laura Linney…
Sortie le 30 Novembre 2016.