IRIS : Rencontre avec Jalil Lespert

Après un biopic romanesque (Yves Saint Laurent) et une série historique (Versailles), Jalil Lespert explore une nouvelle facette du cinéma de genre en s’attaquant au thriller à suspens… teinté d’érotisme. Nous avons rencontré ce cinéaste peu commun dans le paysage du cinéma français actuel.

Quand on voit votre filmographie récente entre Yves Saint Laurent, Versailles et Iris, on constate à quel point vous défendez un cinéma exigeant en terme d’ampleur et de genre…

Jalil Lespert : Ce n’est pas quelque chose de conscient de ma part mais j’aime les projets qui ont du souffle. Je n’ai pas peur de me confronter aux grands sentiments. J’aime embrasser largement et généreusement les choses. C’est pour ça que les histoires qui me plaisent le plus sont celles qui portent ce souffle en elles, qui ne sont ni intimes, ni intimistes, ni naturalistes mais qui sont de grandes histoires. Je ne me suis jamais dis que je devais réaliser un film de genre ambitieux, tout est venu naturellement, par le travail. Après tout, ça fait 18 ans que je bosse en tant qu’acteur sur des plateaux de tournage et quand on est acteur, on voyage entre différents cinémas, différents réalisateurs et différents supports. Du coup, je n’ai pas de dogmes, j’aime le cinéma de manière large.

Alors comment en êtes-vous arrivé à ce projet précis ?

JL : Tout est parti d’un scénario qui m’a plu et dont j’ai acquis les droits en 2011. Ça devait être, initialement, le remake américain d’un film japonais mais qui ne s’est pas fait car l’histoire était trop sombre et sulfureuse pour les USA. Mon producteur et moi l’avons lu en espérant pouvoir le réaliser un jour. J’ai d’abord fait Yves Saint Laurent avant de superviser toute la direction artistique de la première saison de Versailles, ce qui m’a ramené à Iris car ça flirtait déjà avec le film de genre. Il s’agissait d’une série historique avec un état d’esprit proche du film de mafia, à la fois violent et sulfureux. Le succès de la série cumulé à celui d’Yves Saint Laurent m’a définitivement permis de lancer le projet.

On sent que vous vous êtes amusé à vous prêter au jeu de la référence…

JL : C’est vrai que le film a un double fond, tout se joue sur des rapports de double. C’est un film de genre à la fois asiatique et européen dans son traitement des personnages. On a le temps des respirations et des jeux de regard alors qu’on pourrait être pris dans une pure efficacité mais c’est aussi un film hommage destiné aux amateurs de film de genre. Gone Girl était une référence importante pour moi quant à la façon de vicier un scénario avec des twists et des jeux de dupes. On peut aussi penser à Vertigo ainsi qu’à Body Double de Brian de Palma ou encore à Basic Instinct par son aspect sulfureux. Le suspens et l’érotisme ont tous deux une ADN particulière mais assez référencée.

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Pouvez-vous nous raconter votre immersion dans l’univers du bondage ?

JL : Je ne connaissais pas ce milieu mais ça m’intéressait de m’y confronter et de sortir de son aspect cliché et vulgaire. J’ai lu les textes de Sade et je me suis aperçu qu’il y avait un aspect raffiné et profond dans ses rapports au corps et au sexe et pas seulement de la souffrance. C’était important de comprendre ce monde et ne pas le juger pour le filmer de manière intéressante. J’ai aussi rencontré Betony Veron, une anthropologue sexuelle qui a écrit sur le bondage et ses pratiques. Elle m’a permis de ne pas tomber dans les travers sordides et ridicules. En fait, pour ces scènes, j’avais surtout en tête des références à l’art chrétien comme la figure du martyr notamment.

Sous ses allures de thriller érotique, votre film parle avant tout d’amour…

JL : J’ai compris qu’il y avait effectivement beaucoup d’amour et de confiance dans ses rapports et que celui qui maitrise tout ça, en réalité, c’est le dominé et pas le dominant. Heureusement d’ailleurs, sinon ce serait de la torture. Alors oui, le film parle d’amour, c’est pour ça que je voulais travailler avec Charlotte [Le Bon] car on a envie de l’aimer, elle ne nous laisse pas insensible mais elle a aussi un truc que je n’avais pas exploité dans Yves Saint Laurent, c’est ce paradoxe entre son côté fragile et attachant alors que, physiquement, on pourrait se damner pour elle. Donc oui, le film parle d’amour mais aussi du rapport à la vérité et au mensonge, à la solitude, à la fascination, à l’intégrité…

On sent que chacun des personnages est très construit physiquement en terme de costume et d’apparence…

JL : Nous sommes dans un cinéma de genre, avec des archétypes, ce qui permet de dessiner plus précisément les personnages que dans un cinéma naturaliste. Ici, il y a des situations hors normes à jouer. Pour le personnage de Romain [Duris], je voulais qu’il soit ancré dans quelque chose de terrien, qu’il soit à la fois taiseux et viril, avec un corps un peu ramassé alors que c’est un vrai dandy dans la vie. Il fallait aussi qu’il y ait une ressemblance physique entre son personnage et le mien, bien qu’ils soient opposés socialement d’où le fait que mon personnage porte une barbe afin d’asseoir son autorité. Pour Charlotte, il y avait une dimension physique importante à construire, avec un aspect froid et énigmatique un peu hitchcockien. Le personnage joué par Camille Cottin possède un côté très passe partout, avec un manteau de fonctionnaire de police qui lui donne l’apparence de quelqu’un de droit, simple, rigoureux et qui fait écho au personnage de Bourvil dans Le Cercle Rouge.

Vous apportez également un soin particulier aux décors et aux lumières… Je crois n’avoir jamais vu Paris telle que vous la montrez…

JL : J’avais besoin de montrer la ville pour jouer sur le fait que ces personnages y semblent complètement perdus. Je voulais assumer le genre en utilisant des lumières contrastées, très froides et très chaudes, en alternant le jour et la nuit. Il me fallait quelque chose d’assez tranché et pas du tout naturaliste. On a tourné en scope pour donner le plus de relief possible. J’aime les images pleines car cela me ramène à mes premiers amours de cinéma qui sont le Nouvel Hollywood, le néo-réalisme italien où la lumière, les décors, la musique et les costumes participent pleinement à la construction du film et des personnages. C’est un cinéma généreux… Le cinéma que j’aime…

Sortie le 16 novembre 2016.