[CRITIQUE] – Sully (2016)

Par Pulpmovies @Pulpmovies

Réalisé par : Clint Eastwood
Avec : Tom Hanks, Aaron Eckhart, Laura Linney
Sortie : 30 novembre 2016
Durée : 1h36min
Distributeur : Warner Bros. France

SYNOPSIS :

L’histoire vraie du pilote d’US Airways qui sauva ses passagers en amerrissant sur l’Hudson en 2009.
Le 15 janvier 2009, le monde a assisté au « miracle sur l’Hudson » accompli par le commandant « Sully » Sullenberger : en effet, celui-ci a réussi à poser son appareil sur les eaux glacées du fleuve Hudson, sauvant ainsi la vie des 155 passagers à bord. Cependant, alors que Sully était salué par l’opinion publique et les médias pour son exploit inédit dans l’histoire de l’aviation, une enquête a été ouverte, menaçant de détruire sa réputation et sa carrière.

3,5/5

Vous le voyez, papy Eastwood dans son atelier à tailler dans un morceau de bois sa nouvelle figurine, celle qu’il va ajouter fièrement à sa collection des héros américains ? En réalité, c’est plutôt derrière un cadre épuré et puissant que va naître son nouveau héros. C’est l’histoire du capitaine Chesney Sullenburger, dit Sully, pilote de ligne américain qui a réussi à se poser sur l’Hudson, sauvant 155 passagers à bord. Mais dans Sully, Eastwood ne raconte-t-il pas plutôt sa propre histoire ? Et se pose comme un questionnement de toute une carrière, et sur le mythe qu’il est devenu.

S’EMPARER DU HÉROS…

On le sait, la deuxième quinzaine du mois de novembre signe deux grands retours : le froid hivernal qui s’installe confortablement, et les films en course pour les Oscars. Coïncidence alors que le nouveau Eastwood vienne pointer le bout de son nez sur les écrans une semaine après celui d’un de ses concurrents directs, le dernier Zemeckis ? Deux mastodontes américains qui ont respectueusement passé leur vie à ériger les mythes d’outre-Atlantique. Peu probable donc que la sortie en salle de ces deux films soit si proche, tant le cinéma de leurs auteurs se font écho.
Clint Eastwood n’est pas le premier à s’intéresser à l’histoire de Sullenberger. Zemeckis s’était déjà plus ou moins emparé de cette affaire avec Flight, réalisé en 2012, où Whip Whitaker, incarné par Denzel Washington, pilote de ligne chevronné, réussit miraculeusement à faire atterrir son avion en catastrophe après un accident en plein ciel. Sully et Eastwood viennent donc corriger l’erreur qu’aurait commise Zemeckis.
Et pour ce faire, Clint Eastwood s’empare du Héros de Zemeckis, celui qu’il a façonné, qui a été son inspiration, et qu’il a érigé en légende : Tom Hanks. C’est le Tom Hanks de Seul au Monde, de Forest Gump, qui va incarner la réponse à Flight, à celui qui lui a donné ses plus beaux rôles. C’est une façon pour Eastwood de s’accaparer le film de Zemeckis, pour développer tout son propos.

…ET LE RÉINVENTER

Sully, c’est aussi l’occasion de rectifier le tir du tollé médiatique d’American Sniper. Il fait dialoguer en toute logique les deux films, et offre une relecture pertinente de son avant-dernier film, qui manifestement, n’avait absolument pas été compris. Là où American Sniper semblait nous taper à coup de bâton moralisateur, Sully est plus modéré et répond à un vrai questionnement. Un rattrapage en plein vol donc pour le réalisateur américain qui laissait planer le doute sur sa capacité à encore réaliser des films ouverts et conscients de leur réalité.

Pour cette première collaboration entre Hanks et Eastwood, il n’y a aucune agressivité, le réalisateur dessine les contours parfaits de la statue Sully, comme le socle sur lequel il se hisse et sans lequel il ne pourrait tenir. L’écrin, ou le piédestal de Sully, celui qui le met en valeur et qu’il ne remettra jamais en doute. Sully est l’un des films les plus courts du réalisateur, il a laissé décanter son film pour n’en garder que l’essentiel. Si le personnage présente des doutes et ne se laisse pas glorifier si aisément, la réalisation d’Eastwood elle ne fait pas dans la nuance. Le réalisateur est là pour dresser le portrait d’un héros national. Et c’est peut-être là sa plus violente réponse à Zemeckis, là où se dernier mettait en doute l’étiquette de héros à son personnage, Eastwood veut montrer qu’il n’y a aucune remise en question possible.

HÉROS, HÉRAUT ET ANTI-HÉROS

C’est une triple figure que l’on retrouve au travers du personnage de Tom Hanks. Comme nous disions juste au dessus, la glorification du héros n’a pour consistance que celle que le réalisateur veut bien lui accorder. Le personnage en lui même ne se considère pas ainsi, et il va vagabonder du statut de héros à anti-héros durant toute l’intrigue. Lors de la scène du procès, dénouement, cette situation va se cristalliser et comme soulager toute la tension accumulée pendant quatre-vingt dix minutes. Et en faisant tenir la décision en cette unique scène, Eastwood montre comment l’image d’un héros peut se construire ou se déconstruire à une vitesse folle. Peu importe ce que le film nous raconte, le pouvoir est donné aux services publics.

Une troisième figure émerge de la personne de Tom Hanks, c’est tout simplement celle du réalisateur. Il faut voir, pour s’en convaincre, la façon dont Eastwood jette son propre corps dans le récit – et dans la peau de Sully. On aurait tendance à dire que Clint a du mal à se défaire de son ombre Walt, et pourtant, ici rien à voir avec son héros de Gran Torino, c’est un tout autre visage que se donne Eastwood avec Sully. Il se remet en question, à savoir : est-il devenu le héros américain qu’il a toujours voulu être, depuis les premiers western ? C’est triste à dire, mais il s’agit peut-être maintenant pour Eastwood de penser son film, celui qui viendrait poindre son opus magnum.

Eastwood continue de se faire l’historien de son pays. Avec Sully, il est aussi celui de sa propre histoire.