La notion du temps dans le monde de l’histoire

Par William Potillion @scenarmag

Comme d’autres éléments dramatiques, le monde de l’histoire inclut une notion de temps.
Le passé, le présent ou le futur ne sont cependant pas choisis selon l’humeur ou la prédilection de l’auteur.

Comme tout autre élément dramatique, le temps aide à exprimer le personnage.
John Truby explique qu’une fiction historique ne décrit pas un monde différent de celui du lecteur. Ce n’est pas un monde qui décrit des personnages aux valeurs et codes moraux bien différents du lecteur, mais ceux d’une autre époque, d’une autre culture.

Un jugement erroné

Il est donc possible que lors d’une fiction historique, les personnages soient rejetés par le lecteur parce qu’il estime de ne pas pouvoir juger de tels personnages avec les valeurs qui sont les siennes.

Cette possible répudiation peut peut-être expliquer le succès du merveilleux (la fantasy anglo-saxonne, plus englobante comme définition) parce que les personnages sont seulement transposés dans un monde imaginaire où seul l’étrange est une chose naturelle.
Les valeurs et croyances de ces mondes imaginaires sont, quant à elles, toujours partagées avec le lecteur.

Que la fiction que vous écrivez soit historique ou non, vous écrivez toujours de la fiction. Vos recherches préliminaires vous ont certainement mené vers le travail d’historiens. Mais fi de relativisme, vos personnages pourront être jugés par un lecteur sur le sens et la valeur de croyances et de comportements humains somme toute universels et éternels.

Une comparaison

Il s’agit par exemple de comparer les mêmes valeurs à deux époques différentes. Cette comparaison se fait dans le cadre diégétique de l’histoire.

Des valeurs sont mises en situation dans un passé fictif (diégétique) et le lecteur les compare avec ses propres valeurs. Comme dans la série télévisée Salem créée par Brannon Braga et Adam Simon qui offre une nouvelle vision des mythiques sorcières de Salem pour mieux dénoncer des valeurs puritaines qui n’ont pas tant disparues de nos jours.
Bien sûr les valeurs mises en avant peuvent être plus positives comme l’honneur ou la loyauté.

Maintenant, certains auteurs pourraient-ils aller au-delà de la comparaison et faire des prédictions ?
Situer son histoire dans le futur, est-ce dénoncer les dangers d’une technoscience pour laquelle l’homme ne serait qu’un outil ?
Le genre littéraire de l’anticipation porte souvent mal son nom.

Le futur dans une fiction sert à démontrer les conséquences des choix que nous faisons aujourd’hui. Et elles peuvent être négatives ou positives.

Bien sûr, Stephen King a écrit qu’une grande part du succès du genre horrifique tenait au fait qu’il s’adresse à des valeurs contextuelles (sociétales et culturelles) présentes dans le quotidien des lecteurs.
Ce qui peut expliquer le caractère quelque peu suranné de ces productions de nos jours ou bien l’expression Ils ont mal vieillis !
Mais c’est le lot de l’historicisme.

Une question de durée

Incarnée dans une histoire, la durée se manifeste dans un cadre métaphorique. Et si l’on souhaite lui donner chair, alors elle peut emprunter certaines formes essentielles telles que :

Les saisons

Pour John Truby, chaque saison porte en soi certaines significations relatives au héros ou au monde dans lequel il évolue.

Le cycle des saisons peut être utilisé pour symboliquement représenter l’évolution ou la dégénérescence du héros ou du monde. Ce cycle peut être explicite de la linéarité de l’histoire (le héros se rend d’un point A à un point B) ou bien démontrer qu’en fin de compte, les choses ne changent pas.
Voir à ce sujet la notion de circularité abordée dans cet article :
LA DIEGESE OU ARENE DE VOTRE HISTOIRE

Pour Truby, les saisons peuvent être liées à la structure de l’histoire de cette manière :

  • En été, les personnages sont vulnérables ou bien ils existent dans un monde ordinaire qu’ils jugent faussement comme s’ils étaient libres mais sont en fait menacés.
  • C’est en automne que les personnages subissent un déclin.
  • L’hiver correspond au moment de crise. Cette crise est un nœud structurel qui correspond au nadir de l’arc dramatique, au point le plus bas que peut atteindre un personnage.
  • Et au printemps, les personnages surmontent leurs problèmes et partant, évoluent.

Bien sûr, rien ne vous oblige à suivre un tel motif. Vous pourriez vouloir utiliser les saisons pour démontrer que malgré son statut d’animal, l’homme doué d’une conscience n’est pas assujetti aux lois naturels.
Et qu’il peut prendre en charge sa propre destinée.

Les rituels

Les rituels se répètent à des intervalles spécifiques. Ils sont souvent culturels et visuellement puissants.

Ils portent en eux une signification à la fois personnelle en résonnant chez l’individu ou sociale interpellant une communauté.

Pour John Truby, ces rituels permettent d’explorer certaines valeurs, croyances, philosophie ou idéologie. Ils peuvent être utilisés pour exprimer le changement chez un personnage au fil de leur survenue régulière.
Comme l’état d’esprit d’un personnage à chaque fois que Noël réapparaît, par exemple.

Le temps simultané

Cette approche permet de montrer plusieurs personnages qui agissent simultanément. C’est le défilement des heures qui maintient l’élan narratif.
Et qui donne à l’histoire, selon Truby, un sentiment de compression.

Le temps simultané s’accompagne d’un point limite dans le temps, comme un compte à rebours. Si l’histoire dure une journée, à la fin de celle-ci, le lecteur comprend rapidement qu’au terme de cet horizon, toutes les lignes dramatiques seront résolues.

Cela développe aussi une urgence qui joue sur la tension dramatique.On retrouve cette approche dans American Graffiti, par exemple.
Pour John Truby, plus cette horizon est éloigné, c’est-à-dire que plus le moment limite est éloigné dans le temps et plus l’urgence se dilue au profit de la circularité. En d’autres termes, quoi qu’il arrive pendant la durée de l’histoire, le monde revient à son point d’origine.
C’est un cycle qui recommence.

Ainsi, une même série d’événements concernant d’autres personnages peut se répéter aboutissant en fin de compte à une transfiguration similaire des personnages. La circularité peut alors être employée pour marquer davantage le changement qui s’est opéré chez eux.