La sortie en DVD et Blu-Ray chez Elephant Films de quatre des plus grands films de Shoei Imamura ( Désir Meurtier, Désirs Volés, Le profond désir des dieux, Mon deuxième frère) nous donne l'occasion de (re)découvrir les premiers films de cet immense cinéaste, qui fut l'assistant d' Ozu mais qui est à vrai dire plus un disciple d' Akira Kurosawa, dont la carrière s'étend sur plusieurs décennies et qui fait partie du club très fermé des cinéastes ayant remporté 2 palmes d'or ( La Ballade de Narayama en 1983 et L'anguille en 1997). Si Désir meurtrier peut aussi être vu comme un thriller érotique et pervers dont Brian de Palma aurait pu s'inspirer et à côté duquel même le dernier film de Paul Verhoeven paraît bien sage et creux, il s'agit avant tout du portrait d'une femme, Sadako (magnifiquement interprétée par Masumi Harukawa), prisonnière de son propre foyer, prise en étau entre le poids de son " héritage " et celui des conventions de la société japonaise. Dynamiteur de conventions, pourfendeur de l'hypocrisie de la société japonaise notamment au sujet de la sexualité, Imamura, tel Sono Sion aujourd'hui, s'inscrit en rupture avec toute une tradition du cinéma japonais. A travers le récit de Sadako, il trouve une nouvelle fois l'occasion de traiter des thèmes qui lui sont chers avec une modernité et une recherche formelle qui font de Désir Meurtrier l'un des films les plus importants de sa filmographie qui n'a, plus de 50 ans après sa sortie, rien perdu de sa force.
Le mari et la belle famille de Sadako font porter sur elle la responsabilité d'une malédiction frappant la famille Takahashi, en raison de la relation adultère entretenue par sa grand mère avec le grand père Takahashi dont elle était la domestique. Dans son propre foyer, elle est considérée comme une domestique, par sa belle mère et un mari, Richii ( Ko Nishimura) plus lâche que tyran, qui n'a pour elle aucun égard. Les courses, la préparation des repas, la tenue des comptes contrôlée par son mari, rythment les journées de Sadako qui ne trouve un espace de liberté que dans le tricot qui lui permet aussi de gagner un peu d'argent. Imamura semble même faire un parallèle entre sa condition et celle de la souris de Masaru (le fils de Sadako) qu'il filme avec insistance à plusieurs reprises. Dès les premiers secondes de son film, Imamura oppose le mouvement du train lancé à pleine vitesse aux plans figés s'arrêtant sur une maison sans âme longeant la voie ferrée, dont les fenêtres sont protégées par des barreaux, dont la devise affichée sur un panneau dans le salon est " Il faut obéir aux règles de la famille. Sans règles un foyer ne peut pas fonctionner ". Cette introduction ressemble à une note d'intention: cette maison est la prison de Sadako.
C'est dans un événement traumatique, se déroulant au sein de cette maison, que Sadako va trouver en elle le courage de remettre en cause ce modèle, de penser à elle-même, à son désir. Chez Imamura, le violeur devient un anti-héros, un marginal victime de ses pulsions qui tombe amoureux de sa victime et lui propose de partir à Tokyo refaire sa vie avec lui. Traiter du désir d'une femme au foyer était déjà transgressif dans le cinéma japonais des années 60 mais Imamura va plus loin en faisant du viol le révélateur de son désir, en traitant de la culpabilité de la victime profondément bouleversée par les sentiments qu'elle commence à éprouver pour son agresseur. Son mari est quant à lui montré comme un lâche, souffreteux , soumis avec sa mère, n'assumant pas sa relation adultère avec une de ses collègues bibliothécaires.
Désir meurtrier s'inscrit dans la parfaite continuité des précédents films d' Imamura qui s'intéresse aux marginaux, aux laissés pour comptes d'une société japonaise écrasée par les conventions et glorifiant la réussite. Dans une de ses interviews, il raconta d'ailleurs un échange avec un scénariste d' Ozu qui lisant un de ses scripts lui fit une remarque qui l'agaça profondément " Tu es toujours en train d'écrire sur les prostitués et tous ces marginaux ". Si à ses débuts, il a brièvement collaboré avec Ozu, Imamura n'est pas son disciple et l'influence de Kurosawa est beaucoup plus prégnante. Il a toujours eu un souci de réalisme qui se traduit notamment par un style quasi documentaire qui n'est pour autant pas synonyme de paresse au niveau de sa mise en scène. On est frappé par l'attention portée au son venant de la maison comme de l'extérieur (le train que l'on entend très régulièrement passer devant la maison, comme un appel à fuir cet enfermement et découvrir le monde), les angles de certains plans, le choix de cadres qui traduisent l'enfermement de Sadako. Désir Meurtrier est un film aussi engagé dans ses thèmes que dans sa mise en scène, dont l'une des excellentes idées est par ailleurs de s'être aussi donné la forme d'un thriller, ménageant un vrai suspens sur le choix et le sort de son héroïne. Rares sont les films qui parviennent à trouver un tel équilibre entre la forme et le fond, à pousser la réflexion aussi loin sur la société dont ils traitent tout en pouvant aussi se voir au 1er degré comme une fiction dont le suspens retiendra l'attention de n'importe quel spectateur.
Titre Original: AKAI STATSUI
Réalisé par: Shoei Imamura
Genre: Drame
Distribué par: Elephant Films