La blessure du heros au grand jour

Au début de l’histoire, le héros vit dans un monde ordinaire. Il pourrait y être heureux mais il se berce d’illusions.
Il lui manque quelque chose dans sa vie. S’il en a conscience, il ne parvient pas à savoir ce que c’est.

Et s’il l’ignore, c’est qu’il n’a pas encore assumé la plénitude de son être. Il est dans l’erreur mais ne le sait pas encore.
En fait, il n’avance plus.
Pour éviter d’affronter nos plus terribles peurs, nous endossons une personnalité que nous présentons au monde.
C’est notre persona. C’est une fausse identité que nous revêtons comme une armure émotionnelle pour éviter de nous sentir vulnérable et terrifié face à notre propre existence.

La constitution du héros

Dans L’idiot de la famille, Jean-Paul Sartre a défini la constitution d’un individu comme l’apprentissage et l’assimilation de valeurs issues des conditions familiales et sociales dans lesquelles un individu naît.

Dans cette constitution, on trouve une période que Sartre nomme protohistoire et dans laquelle pourrait se situer une fêlure, une blessure qui se situerait dans la petite enfance.
C’est cette blessure fondamentale du héros que Michael Hauge ou Peter Russell mentionnent.

On pourrait aussi signaler que la voie authentique d’un auteur dont parle Cecilia Najar est d’abord une étape de découverte de soi-même. C’est-à-dire que pour atteindre à la sincérité de ses écrits, l’auteur doit d’abord se livrer à un travail sur lui-même et partir à la recherche de sa propre constitution.

Une expérience que l’on ne veut pas revivre

La blessure, c’est d’abord une expérience. Elle peut être un traumatisme, mais pas seulement.
Imaginons que votre héroïne soit née dans un milieu qui soit très chrétien. Lorsqu’elle prendra la pleine mesure de cette éducation religieuse, par exemple vers l’âge de huit ans, son processus d’individuation pour Carl Gustav Jung ou de personnalisation pour Jean-Paul Sartre pourrait la mener, à l’âge de ses 18 ans, soit à consacrer sa vie à Dieu, soit à se tourner dans l’esprit et dans les faits vers une libération de ce qu’elle considère comme un carcan.

Que ce soit un traumatisme ou quelque chose de plus diluée au cours de l’enfance de votre héros, il s’agit d’une expérience.
Et le souvenir ou la réminiscence de cette expérience est douloureux.
Vladimir Nobokov fait remonter la perversité de Humbert Humbert à l’expérience traumatisante de la mort de son amour d’enfance, par exemple. Et c’est en cherchant à éviter cet abyme, ce manque qu’il a besoin de la présence de Dolores, sa Lolita.

Pour Michael Hauge, il est clair que le héros ne veut plus éprouver la douleur de l’expérience. Il ne veut pas affronter cette peur.
On peut se dire aussi que s’il revivait les conditions de cette expérience, s’il se retrouvait dans une situation  similaire, il pourrait affronter ses peurs et les intégrer. Ainsi, il n’aurait plus peur.

Mais il faut bien commencer l’histoire. Donc, au début de celle-ci, il évite d’affronter sa peur fondamentale. Même si cela signifie qu’il vit dans le mensonge (se mentir à soi-même est probablement le plus grave des mensonges) et que son existence est limitée et insatisfaisante.

Une quête de soi

Si l’homme n’est pas déterminé, on peut considérer qu’il se définit lui-même par ses actions.
Au début de son aventure, le héros n’est pas égal à sa véritable nature. Il cherche un sens à son existence, souvent sans le savoir.

Cette essence, cette nature qui le caractérise, c’est par ses actions au cours de l’histoire qu’il va aller à sa rencontre.
Le héros a un but dans l’histoire, quelque chose d’incoercible. Il n’est pas dans l’erreur en poursuivant ce but. S’il échoue, il perd tout.

Il va devoir affronter ses peurs et les surmonter. Concrètement, ce sera des obstacles et des épreuves.
Ce processus que l’on nomme arc dramatique doit le mener d’une vie qu’il vit pleinement selon sa persona (et c’est là où se situe son erreur) à une vie où il vit pleinement selon sa véritable nature.

Si, par exemple, votre héroïne devient une sorcière à la fin de l’histoire, elle sera probablement condamnée par l’opinion publique qui juge selon sa propre morale.
Mais puisqu’elle se sera réalisée conformément à sa véritable nature, qu’elle aura reconnue son essence et donnée un sens à son existence, alors les choses sont plutôt bien pour elle.

La loi de causalité

En fiction, on y échappe rarement. Les conséquences de la blessure fondamentale font que le héros a une existence émotionnellement protégée dans le monde ordinaire, c’est-à-dire le monde au début de l’histoire.

Si vous voulez en savoir plus sur le ou les mondes que décrit votre histoire, voici quelques conseils de lecture :

  • LA NOTION DU TEMPS DANS LE MONDE DE L’HISTOIRE
  • LE HEROS ET SON MONDE : INTIME RELATION
  • LE HEROS ET SON MONDE
  • LE MONDE DE VOTRE SCENARIO
  • COURT-METRAGE : ENTRE SOI & LE MONDE
  • UN MONDE IMAGINAIRE
  • LIEU, EPOQUE & STYLE DE VOTRE MONDE

La transformation progressive du héros va consister pour lui à abandonner cette persona en trouvant en lui le courage pour s’accomplir pleinement. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une praxis au sens de Aristote.
C’est-à-dire une transformation morale (une sorte de transfiguration) du sujet agissant (c’est-à-dire de notre héros).

Will Hunting

Reprenons l’exemple dont se sert Michael Hauge pour argumenter cette fêlure fondamentale de la personnalité d’un héros.

Au début de l’histoire, Will est plutôt satisfait de sa vie. Pourtant, quelque chose que l’on ignore encore l’effraie au point qu’il ne veut pas laisser voir à quel point il est un être brillant.
Son comportement reflète cette frayeur en particulier en évitant soigneusement toute relation aux autres.
C’est une chose qui pourrait le rendre vulnérable, selon son point de vue à ce moment de l’histoire.

La rencontre, événement clef

Une rencontre est souvent un événement majeur. Comme celle entre Roger Radcliff et Anita dans Les 101 dalmatiens. Cette rencontre, certes provoquée par Pongo, est l’événement qui va lancer toute l’histoire.

Will rencontre donc Sean, un psy.
Sean est différent des autres psychiatres. Il résiste à Will en défendant sa propre vérité. Et ne cède pas ou ne réagit pas outre-mesure aux insultes et diversions de Will. Il ne cherche pas à l’améliorer et surtout, il n’est pas intimidé par Will.

L’objectif ne peut être atteint si la faiblesse n’est pas vaincue

Un objectif est fixé au héros. C’est sa mission en quelque sorte dans l’histoire. Michael Hauge nomme cet objectif l’Outer Motivation. C’est un but que l’auteur lui a fixé et son personnage n’a d’autres choix que de poursuivre ce but.

Mais le véritable problème du héros, ce n’est pas tant cette Outer Motivation qui est au vu et su de tout le monde.
Car il ne pourra espérer atteindre son but que s’il abandonne son identité actuelle. Il lui faut une prise de conscience. Sans cette dernière, sans cette évolution de sa personnalité, il ne fera que brasser du vent.

L’objectif de Will Hunting est de gagner l’amour de Skylar. Cela, nous l’avons tous compris. Mais il ne pourra pas y parvenir s’il continue à fuir toute intimité, s’il refuse de s’impliquer dans un amour véritable. Il lui faut assumer une relation honnête avec Skylar, ce que son état actuel lui interdit.

C’est ainsi que Will va progressivement s’ouvrir à Skylar. Sa persona va commencer à s’effacer. Même son meilleur ami Chuckie remarquera que Will n’a jamais été avec aucune autre fille comme il est avec Skylar.
Notez que l’arc dramatique est une progression. Vous ne pouvez pas, d’une scène à  l’autre, montrez un comportement diamétralement opposé si vous n’avez pris soin de préparer le lecteur à cette conversion.

Nous vous proposons de visionner les interviews suivantes concernant l’arc dramatique.
Les traductions sont assurées par Scenar Mag.

Evolution du personnage

PETER RUSSELL : EVOLUTION DU PERSONNAGE

Parcours intérieur du personnage

LE PARCOURS INTERIEUR DU PERSONNAGE

Peter Russell & l'arc dramatique

PETER RUSSELL & L’ARC DRAMATIQUE

Un moment de doute…

Mais la prise de conscience est elle aussi douloureuse. Le héros commence à douter parce que ce devenir qu’il commence à entrevoir le terrifie. Ce projet qu’il a de lui-même ne lui semble pas adapter à un monde qu’il ne reconnaît pas.

C’est un moment de crise. D’ailleurs, c’est tout à la fois une étape de l’arc dramatique  d’un héros et une étape structurelle importante pour l’histoire.

Pour Will, ce moment se produit lorsque Skylar lui demande de partir avec elle en Californie. Mais il n’est pas encore prêt et refuse.
L’information nous est alors donnée sur les maltraitances qu’il a subies dans son enfance. Et nous comprenons le blocage psychologique qu’il endure depuis ces événements.

…qui ne dure pas

Mais cette crise est temporaire. Pour Michael Hauge, puisque le héros a fait l’expérience de sa véritable nature, son existence protégée du début de l’histoire ne fonctionne plus.

Evidemment, certains auteurs pourraient considérer que cette aspiration à vivre selon son essence fait de leur personnage un être déterminé. Et ils pourraient ne pas accepter cette nécessité qui serait comme une privation de la liberté de leur héros.
Mais comme un auteur écrit pour un lecteur et que cette façon de faire les choses sied bien à ce dernier, nous réservons cette problématique pour un éventuel autre article.

Le héros se réalise

Le héros parvient donc à une réalisation de soi (John Truby parle de révélation).

Concernant Will Hunting, cette réalisation est aiguillonnée à la fois par Sean, Skylar et Chuckie qui lui martèlent de ne plus cacher ses sentiments, de cesser de fuir qui il est vraiment et de vivre selon sa vraie nature.
C’est Sean qui parvient à faire comprendre à Will que ce n’est pas sa faute, que cette mésestime qu’il éprouve sur lui-même n’est pas sa vérité.
Que cette image de lui-même est bâtie sur un mensonge et ne faisait que le blesser.