10 épisodes (50 min) Créateur : Paolo Sorrentino
Chaîne d'origine : Canal +, HBO, Sky Atlantic Diffusion : 21 octobre
Avec : Jude Law, Diane Keaton, Silvio Orlando, Cécile de France, Javier Camara, James Cromwell, Ludivine Sagnier...
" La fin du compromis " ou l'heure de la réussite
Rentrée dans les us et coutumes du petit écran, la série-film pensée par les grands du cinéma s'est avérée devenir une tradition plus que populaire malgré sa très récente existence. Qu'elle soit bien ou moins bien faite, l'honnêteté nous oblige à dire que pour l'instant cela n'a jamais été extrêmement réjouissant.
Jusqu'à maintenant. Car lorsque le baron du cinéma italien relève ses manches pour plonger les mains dans la papauté et la télé, c'est toute l'industrie qui s'y met. Les grandes maisons de production jonchant les deux bords de l'Atlantique sont aussi allées au charbon, n'omettant pas d'emmener avec eux un casting international, et, cinq étoiles. Grâce à tout ce petit monde, notre doux Paolo à réussit là où les autres ont échoué. Retraçant l'histoire de Pie XIII, très jeune pape (comme son nom l'indique) aussi contradictoire que controversé, The Young Pope nous emmène avec une divine virtuosité dans les coulisses du Vatican en mêlant intrigues, cruauté et sentiments.
Ému jusqu'au larmes et enjoué tel le bébé contemplant un hochet, Bizard Bizard vous propose d'analyser les éléments de ce réussissement qui résonnera longtemps dans l'histoire de la boîte à troubadour.
Le mariage heureux de la télévision et du cinémaComme dit plus haut, la première chose qui frappe dans The Young Pope est la symbiose parfaite entre l'esthétique cinématographique et le respect des codes de la série. Sorrentino, qui n'en est plus à un chef d'œuvre prêt, prouve encore une fois que le génie est le guide de son esprit. Présentant une attention scrupuleuse à la mise-en-scène, le réalisateur nous offre plus de dix heures de plans extatiques à la beauté foudroyante. Attaché au concept de tableau mouvant, Paolo fait évoluer ses personnages dans un cadre figé où eux seuls ont le droit de bouger. Jouant sur l'immobilité-mobile mais aussi sur un bon nombre de scènes muettes où la musique vient casser le silence et exprimer ce que les protagonistes ne disent pas, la dynamique du rythme est aussi belle que séduisante. Et c'est aussi beaucoup pour cela que l'italien a pu ouvrir les portes du panthéon de la télévision : concevoir la construction plan par plan comme un film, tout en s'adaptant et en n'oubliant jamais l'attente d'un TÉLÉspectateur. Les personnages sont rapidement et habilement présentés, ainsi l'attachement se fait quasi-immédiatement et l'histoire à l'écran et dans nos cervelets peut rapidement commencer. Ne se perdant jamais dans la rythmique " minute " insufflée par chaque scène, Sorrentino maîtrise l'art de donner envie de savoir et donne l'impulsion sériesque à cette esthétique aussi baroque que dépouillée.
Après avoir passé la terrible épreuve du feu - l'épisode pilote - remportée haut la main, le téléspectateur rassuré plonge dans un lac de confiance et de béatitude, sûr de pouvir suivre aveuglément cette bande d'ecclésiastiques délurés dans leurs affaires de pouvoir qui ne fleurent pas bons la sainteté.
Du glam à la soutaneSi la coqueluche du cinéma italien sait mettre en valeur la cité du Vatican en y créant une ambiance complètement addictive, il réserve le même traitement aux personnages qui la peuple (on aime se répéter chez Bizard Bizard, mais les personnages font une série. Fin de la répétition). Par un tout de petits riens, la série réussit à donner un côté régalien à ce clergé hautement séculier. La petite troupe entoquée qui ne jure que par Dieu et les lunettes de soleil sait créer une véritable passion dans le cœur des spectateurs. Qu'il s'agisse de Pie XIII qui aime les habits sportswear tant que le look total blanc est respecté et dont l'obscurantisme progresse main dans la main avec ses ambitions de rock star, ou encore de Sister Mary qui ne se détend qu'à condition de pouvoir mettre quelques paniers, mais aussi de l'intriguant cardinal Voiello dont la passion est le club de football de Naples est presque comparable à celle qui voue pour Jésus-Christ. Truffant son récit de ces petites futilités humaines, Sorrentino rend ses sujets mortels, faibles et accessibles, permettant l'identification à ces personnages que l'on ne côtoie pas. Bien qu'il s'agisse d'un boulot à plein temps, le réalisateur nous montre que cela n'empêche pourtant pas la fragilité et la frivolité de ceux que l'on sait au service de Dieu. En mélangeant le divin et l'humain, la série nous fait aimer ses protagonistes autant qu'elle les aime, donnant un côté suave à chacun des couvre-chefs, faisant de ses hommes en soutanes des mannequins ultra lookés et des ses femmes les reines vierges d'un défilé.
Mais cette réussite personnagienne est aussi le fruit du travail de ces premiers artisans : les acteurs. Si au début ce casting de très grands ne nous avait pas franchement inspiré confiance - la participation de méga star invitées pour faire office de mastique pour boucher les trous du scénario étant malheureusement une opération reproduite bien trop souvent - c'est avec joie et surprise que nous avons ravalé nos vilaines pensées. Jude Law gagne le combat de toute une vie et réussit ENFIN à faire oublier son physique au bénéfice de son talent d'acteur (car oui mesdames, c'est un bon acteur, on l'oublie avec le temps), Diane Keaton est aussi talentueuse qu'à son habitude, faisant briller sa grâce et son élégance derrière les verres fumés de ses lunettes de vue (ET de soleil, bien sûr), et Silvio Orlando sait comment allier mignonnerie et manipulation, donnant à son personnage du cardinal Voiello toute la froideur et l'humanité (adorable) qu'il requiert. Les personnages secondaires sont tout aussi irréprochables, Javier Camara, James Cromwell et Cécilde de France sont impécables, interprétant leurs rôles avec finesse et volubilité, même Ludivine Sagnier sait se rendre supportable, c'est vous dire !
L'amourAprès ces quelques paragraphes vous aurez peut-être compris que la pierre angulaire de The Young Pope et bien c'est l'amour. Qu'il s'agisse du fond ou de la forme, l'amour est partout et l'amour est ce qui a guidé la réussite de la série. Sorentino construit son histoire avec passion et sait nous transmettre l'affection qu'il porte à son histoire, ses personnages et ses acteurs. Il fait de sa série internationale une création aussi irrévérencieuse que respectueuse, trouvant l'équilibre entre ses idées et le cadre où celles-ci sont installées. La religion n'est ici qu'un élément du récit - intervenant comme une simple contrainte aux sentiments - et du décor, permettant une mise-en-scène lyrique et majestueuse. L'intérêt du réalisateur se dirige vers ses protagonistes et leur caractère, cherchant à exprimer les débats intérieurs et les traumatismes du passé, prouvant bien que pape ou pas la quête de soi ne se résume pas à une simple affaire, car il s'agit bien plus d'une crise de la quarantaine que d'une affaire de foi (ceci dit l'un engage souvent l'autre). En axant cet ensemble sur l'humain, Sorrentino se concentre ainsi sur l'individu et ses émotions, sur l'évolution de la réflexion d'un homme en proie au doute qui se doit retrouver le chemin qui guide à l'Amour.
Mais lorsqu'il le trouve, force est de constater que le résultat est aussi enlevée que l'opération (neuf épisodes de recherche) et c'est avec les larmes aux yeux que l'on regarde ce dernier épisode, comprenant enfin pourquoi certaines personnes se baladent avec des pancartes " free hugs ". Envahit par l'amour, le spectateur se rend compte que cette fable vaticane n'est qu'un énorme câlin télévisuel aussi maîtrisé que réussit.
Un petit chef d'œuvre qui va au delà de n'importe quel écran, capable de vous laissez tenter par un cherry diet coke...
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