Decouvrir et explorer son theme

Par William Potillion @scenarmag

Un scénario peut avoir des personnages bien fouillés et intéressants, une intrigue savamment pensée, des scènes puissantes et pertinentes, des dialogues qui énoncent avec force les intentions et les émotions des personnages et une structure qui articule votre histoire de façon à en assurer sa perception de la manière la plus optimale sans nuire à votre créativité d’auteur…
Mais si vous manquez à comprendre le thème qui sous-tend l’histoire comme un principe directeur qui l’emmène vers une destination précise, qui lui donne une orientation, le lecteur (le véritable lecteur, celui qui ne veut pas seulement quelque chose de spectaculaire) se sentira toujours frustré.
Le ou les thèmes à l’œuvre dans une histoire suintent à tous les niveaux de celle-ci.

Pour une première approche du thème nous vous renvoyons à
LA THEORIE DRAMATICA SUR LE THEME

Les thèmes permettent de joindre les différents éléments dramatiques d’un récit pour en faire non seulement un grand spectacle (quelle que soit la nature de celui-ci) mais aussi pour donner du sens aux événements qui s’y déploient.

Une thématique dessinée à grands traits pour commencer

Le thème est ce que dont votre histoire parle. Si vous décidez par exemple de traiter d’eschatologie, votre histoire parlera de fin du monde ou de la fin des temps.

L’aspect thématique d’une histoire est la couche de significations qu’un peu d’attention permet de discerner sous l’intrigue. Souvent, c’est un problème moral.

Le ou les thèmes qui sous-tendent une histoire sont en quelque sorte les fondations qui vont permettre de justifier l’existence de l’intrigue, des personnages, des scènes…

Un archétype par exemple de par sa fonction même possède une essence. Si vous considérez le méchant de votre histoire comme un objet archétypal (du moins dans un premier temps), sa fonction de nuire au personnage principal, de l’empêcher d’atteindre son objectif est ce qui constitue son essence.
Néanmoins, son existence, c’est-à-dire sa capacité à concevoir et à mettre en œuvre des obstacles et des épreuves pour le héros, autrement dit ses choix, sont dictés par le thème.

Le thème lorsqu’il est identifié par l’auteur lui permet de déterminer quels sont les personnages qu’il a besoin de créer, quelles actions il doit et peut leur faire faire ainsi que les événements qui doivent se produire.

Et pour aller à la rencontre de ses thèmes, l’auteur doit d’abord les appréhender de manière générale, à grands traits.

Des catégories thématiques

Sur un plan créatif, le thème n’est pas une évidence. Il n’apparaît  pas clairement et distinctement à l’esprit lorsqu’on se décide à écrire une histoire.

Un concept est plus facile à imaginer. En effet, on déduit un thème alors qu’une idée (c’est-à-dire un concept pour une histoire) s’impose plus naturellement à l’esprit.

Supposons que nous ayons à l’esprit l’idée d’un personnage. C’est une jeune femme qui possède sur elle une maîtrise de soi, un contrôle total de ses émotions et passions.
Elle se sert de ce contrôle pour atteindre à la réussite sociale sur le plan professionnel. Elle est la meilleure dans ce qu’elle fait.
Mais elle n’est pas heureuse. Elle n’a pas d’amoureux dans sa vie et ne veut pas avoir d’enfants. Car pour elle, ce sont des aspects de la vie qui tendent à être hors de son contrôle.
Somme toute, le message que nous tentons de faire passer est que pour trouver le bonheur en ce monde ( à défaut de trouver un sens à notre existence dans un monde qui n’a que faire de nous) est d’accepter que nous ne contrôlons pas vraiment les choses.

Donc, le concept est un personnage. Maintenant, il nous faut illustrer cette idée par des exemples qui vont tenter de démontrer notre point de vue.
Mais entre l’idée et le contenu que nous allons mettre dans nos scènes, il existe un manque. On ne peut pas passer d’une idée à quelque chose qui n’existe pas encore (le contenu) directement.

Pour esquisser nos illustrations, il nous faut d’abord fonder notre pensée sur de grandes thématiques.

Ces catégories thématiques qui serviront de boussole pour orienter notre créativité sont en quelque sorte des modèles basiques. Ce peut être l’amour, la vengeance, la famille, le pouvoir…

Que peut-on induire de ce qui nous est donné avec notre personnage de jeune femme ?
La première suggestion qui nous vienne à l’esprit est le chaos.
Quelque chose doit venir bouleverser la vie bien trop ordonnée de notre héroïne pour qu’elle prenne conscience que le bonheur se situe ailleurs.

Cette problématique du chaos sera donc le fond sur lequel nous tenterons de faire émerger le ou les thèmes qui nous permettront d’illustrer par des exemples notre message, c’est-à-dire notre propre vision du monde.

Découvrir le thème

Lorsque l’on se décide pour un thème, ce n’est plus l’heure du questionnement.
Si vous vous interrogez par, par exemple, Est-ce que l’argent peut apporter le bonheur ?, vous ne statuez pas sur un message.

Le message est une assertion : L’argent ne fait pas le bonheur. Vous n’avez pas besoin de réinventer la roue pour faire passer un message. Tant que cela vous permet de dire ce que vous avez à dire, vous pouvez vous approprier un thème simple et éprouvé qui s’est déjà avéré capable de résonner profondément chez un lecteur.

Lorsque votre intuition ou votre logique vous ont permis de discerner un message, c’est-à-dire un thème, il vous faut maintenant trouver le moyen de le relier à au moins trois de vos personnages.
Le protagoniste et l’antagoniste vous permettront de démontrer votre argumentation.

En effet, pour développer un thème, une technique narrative consiste à exposer la thèse et son contraire en les incarnant respectivement chez le protagoniste et l’antagoniste.
Si votre thème est que l’argent ne fait pas le bonheur, alors vous devrez démontrer que l’antagoniste est apparemment heureux parce qu’il possède beaucoup d’argent.

Lorsque vous exposez les deux mondes tels qu’ils apparaissent à l’antagoniste et au protagoniste, vous ne prenez pas de position que vous imposez à votre lecteur.
Le but de l’argumentation est de laisser ce dernier venir à la conclusion que vous souhaitez communiquer en le laissant prendre lui-même position en comparant les deux mondes exposés.

Pour amener progressivement le lecteur à votre conclusion (votre message), vous aurez besoin aussi d’incarner votre thème chez un troisième personnage.
Celui-ci est l’objet de l’enjeu pour le protagoniste ou bien à la fois pour celui-ci et l’antagoniste.

Le protagoniste

Un protagoniste en tant que tel fait avancer l’histoire. Mais comme il est aussi le personnage principal, il connaît un arc dramatique.
C’est-à-dire que ce personnage est au début l’histoire dans un certain état. Au cours de ces épreuves, il se transforme progressivement en un autre état.

On peut ainsi considérer que le héros est porteur d’un projet. Et que ce projet est lui-même. A la fin de l’histoire, il est devenu meilleur en prenant conscience de ses faiblesses. Cette évolution de sa personnalité est son arc dramatique.

Pour lier le thème au protagoniste, il est donc bon de le marier à l’arc dramatique de celui-ci. Comme cet arc décrit la transformation de quelqu’un qui est en quelque sorte perdu en quelqu’un qui surmonte ses faiblesses et sait enfin ce qu’il veut, il peut être utile de prendre appui sur une structure en trois actes pour décrire cet arc.

Ainsi,

Dans l’acte Un,

le personnage est totalement ignorant du thème et lui résiste inconsciemment.

Dans l’acte Deux,

le personnage passe par un certain nombre d’épreuves qui lui permettent de prendre conscience progressivement de son ignorance. Des choses se révèlent à lui.
Et sa résistance au thème diminue.

Dans l’acte Trois,

le personnage réalise la vérité que contient le message de l’auteur et l’accepte totalement.

Par exemple, dans La vie est belle, l’un des thèmes pourrait être qu’il est important de trouver le bonheur dans les petites choses de la vie. C’est le message que George Bailey ignore au début de l’histoire mais dont il prend toute la mesure à la fin.

Dans Matrix, Neo ne peut pas savoir que l’on doit croire en soi-même pour atteindre son vrai potentiel. Et dans l’acte Trois, il a réalisé qu’il était l’élu.

L’antagoniste

L’antagoniste n’est pas plus conscient du thème au début de l’histoire que ne l’est le protagoniste.

Par contre, son comportement reflète un point de vue qui va à l’encontre du thème.
Dans La vie est belle, Potter ne peut réaliser que le bonheur se trouve dans les petites choses de la vie. Contrairement à Bailey, aucune rédemption ne lui est possible.
Alors il n’hésitera pas à détruire les vies des habitants de Bedford Falls pour obtenir ce qu’il veut.

L’agent Smith dans Matrix ne sait pas non plus qu’il faut croire en soi pour réaliser son vrai potentiel. Et de toutes manières, il ne peut accepter cette croyance qui s’oppose à toutes ses certitudes.
Et ce sont précisément ses certitudes qui le détermine à tuer toutes personnes qui tentent de désorganiser la matrice.

Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un antagoniste est si ancré dans ses certitudes qu’il ne peut lui aussi connaître un arc dramatique.
L’auteur peut lui permettre aussi de se révéler à lui-même.

Bien sûr, l’antagonisme est une force qui s’oppose à la volonté du protagoniste. C’est sa fonction dans l’histoire.
Mais cette essence ne le détermine pas à être la même entité entre le début et la fin de l’histoire. Il peut comprendre certaines choses au cours du processus et échouer face au protagoniste en étant en quelque sorte un être meilleur.

Dans Sideways, par exemple, le protagoniste est Miles et Jack est l’antagoniste. Mais contrairement à Potter de La vie est belle qui termine l’histoire aussi cruel qu’il l’a commencée, Jack est devenu significativement mâture au contact de Miles.

 L’objet de l’enjeu

Un troisième personnage explicite totalement le message de l’auteur. Il n’offre aucune résistance au thème puisqu’il est déjà aligné avec celui-ci dès le début de l’histoire.

Par exemple, dans La vie est belle, Mary incarne ce troisième élément. Tout ce à quoi elle aspire, c’est une famille heureuse avec George. Elle apprécie déjà les petites choses de la vie.

Ce troisième personnage permet au protagoniste et au lecteur de comprendre le thème. Il peut avoir aussi des faiblesses à vaincre ou être au centre d’une intrigue secondaire afin de lui donner de la profondeur.
Mais sa caractéristique principale est qu’il est concrètement le thème.

Notez que ce sont les épreuves et les obstacles que jettent l’antagoniste sur le chemin du héros qui autorisent ce dernier à prendre conscience de choses sur lui-même.
Mais l’enjeu est ce à quoi aspire le protagoniste. Celui-ci est attiré par la lumière qui émane du personnage qui incarne le thème. Mais tant qu’il n’est pas passé par les épreuves que lui a concocté le méchant de l’histoire, il ne peut saisir ce qui est pourtant à sa portée.

En conclusion

Il est important de tisser le thème dans les arcs dramatiques des personnages et dans les événements de l’histoire. Le thème est un moyen pour l’auteur de communiquer quelque chose sur la nature humaine.
La condition humaine est ce qui résonne puissamment dans une histoire. Et c’est une des conditions pour la qualité de celle-ci.