Chère Carrie Fisher

Chère Carrie Fisher,

Je conserve un souvenir très précis de ma découverte de Star Wars. J’avais huit ans et nous étions en mai 2005. La Revanche des Sith s’apprêtait à sortir et M6 repassait tous les lundis les autres volets de la saga. Sur les conseils de mes amis, je me suis plongé dans l’univers de George Lucas, pour ne jamais vraiment en ressortir. Je ne doute pas que cette expérience a changé ma vie, au point de définir ma passion actuelle pour le cinéma. Après tout, la richesse et la justesse de Star Wars ne peuvent qu’inspirer et passionner, surtout quand notre cœur d’enfant est ouvert à un imaginaire débordant, à une force d’évocation que nous embrassons pleinement. Et puis nous vieillissons, sans pour autant perdre une miette du plaisir ressenti depuis tant d’années, et c’est dans ces instants que nous comprenons pourquoi Star Wars est bien plus qu’un simple monde de fiction : il s’agit d’une extension de notre famille, qui nous accompagne dans les diverses phases de notre vie. Et tu appartenais à cette famille…

Ce qui frappe encore aujourd’hui devant Un nouvel espoir, c’est la manière dont tu es immédiatement iconisée, au même titre que le plus grand méchant de l’histoire du cinéma, auquel tu oses tenir tête. Dans les couloirs du Tantive IV, on t’aperçoit dans le fond d’un plan large, donnant la carte de l’Étoile noire à R2-D2. Une mystérieuse introduction qui laisse déjà entrevoir la détermination de ton personnage, avant de voir cette robe immaculée qui définit toute la pureté d’une princesse embarquée dans une guerre qui, comme pour les autres héros de la saga, la dépasse. Et bien que Lucas se soit en partie inspiré de récits chevaleresques, faisant de Leia une damsel in distress, il a su transcender ce modèle, et faire d’elle avant avant tout une héroïne courageuse et bien plus progressiste qu’il n’y paraît, fondement pour des personnages plus ouvertement féministes, à commencer par Padmé Amidala, Rey ou encore Jyn Erso. Bien sûr, cette ambition aurait été creuse sans la prestance de ton jeu, sans cette force que tu as su lui insuffler, visiblement héritée de ton vrai caractère, si l’on en croit ceux qui ont partagé ta vie. C’est peut-être pour cette raison que l’on a tant de mal à scinder Carrie Fisher de la princesse Leia, tant vous semblez n’être qu’une seule entité, aussi drôle et persistante dans la réalité que dans la fiction. Une ambiguïté avec laquelle tu as joué volontiers, notamment au sein de tes multiples apparitions dans des films de tes admirateurs, jusqu’à celle, hilarante, dans Scream 3 de Wes Craven.

Au travers de ces petits rôles, tu as toujours assumé le poids qu’a pu être Star Wars, et les difficultés qu’ont engendré cette période. Néanmoins, tu t’es toujours battue, notamment sans que le grand public ne le sache. Certains des films de notre enfance (la prélogie, mais aussi Hook et Last Action Hero) possèdent ta marque, souvent non-créditée, de script doctor. Et puis, c’est vrai qu’il n’y a pas que Star Wars dans la vie, et outre ton autre rôle mythique dans Les Blues Brothers, tu as tourné avec quelques grands cinéastes, tels que Woody Allen, John Landis, Joe Dante ou encore Kevin Smith. Leia n’est pas une malédiction, quand bien même elle a pu te faire souffrir de bien des manières. Elle est ton cadeau offert au monde, ce modèle qui touche encore à travers le temps des générations entières qui se prêtent des costumes immédiatement reconnaissables. Leia est, comme Star Wars, un symbole de passation, idée que J.J. Abrams a parfaitement assimilée dans son Réveil de la Force, qui nous a ramené ce double avec douceur et émotion, ce double qui te colle encore aujourd’hui à la peau, à l’heure où ta disparition donne hélas une dimension funeste à Rogue One, qui se conclut sur ton joli visage recréé en images de synthèse. La prouesse technique du métrage de Gareth Edwards est assez révélatrice de l’impact qui tu as sur l’inconscient collectif, un impact intemporel. Tu n’es pas seulement imprimée sur la pellicule, mais sur nos cœurs d’enfants que tu ravives à chaque fois. Alors oui, l’annonce de ton décès m’a émue aux larmes, me faisant réaliser que j’ai perdu une partie du mythe moderne qui a forgé mon imaginaire, que j’ai perdu ma princesse et pire encore, un membre de ma famille. Cependant, tu es et restera, au même titre que Star Wars, immortelle.

You’re one with the Force and the Force is with you.

Le Cinéphile Cinévore