Brillant et bouleversant, le nouveau film de J.A. Bayona le fait définitivement entrer dans la cour des grands.
Encore aujourd’hui, il arrive que la paternité du premier film de Juan Antonio Bayona, L’Orphelinat, soit donnée à Guillermo Del Toro, qui n’en était pourtant que le producteur. Cependant, tout comme L’Étrange Noël de Mr. Jack n’est pas une œuvre de Tim Burton, ces raccourcis ne sont pas insensées, tant ces auteurs de talent ont pu servir de mentor à des poulains qu’ils ont pu porter aux nus. Ainsi, Quelques minutes après minuit peut déjà être perçu comme un métrage important, tout simplement parce qu’il offre un tourbillon de maîtrise et d’émotions, couplé à un amour de l’imaginaire que l’on ne voit habituellement que chez une poignée de réalisateurs, comprenant Del Toro, Spielberg, Cameron ou Jackson, et dont on est heureux de voir les rangs s’agrandir. Mais mieux encore, le film dévoile plus que jamais la singularité de Bayona sur ses modèles, jouant avec la figure du monstre avec une malice et une passion communicatives, qui lui permettent d’aller bien au-delà d’une resucée des chefs-d’œuvre des cinéastes pré-cités. Alors qu’il supporte de moins en moins la dureté de son quotidien, entre sa mère malade et la maltraitance qu’il subit à l’école, le jeune Conor (stupéfiant Lewis MacDougall) fait la rencontre d’un arbre vivant (doublé par Liam Neeson) qui décide de lui raconter des histoires. Un animisme qui amène le film de façon explicite sur le terrain du conte, voire de la fable mise en abyme, imposant son dispositif mécanique dès sa première minute, avec cette question énoncée par le héros : « Comment commence cette histoire ? »
Néanmoins, Quelques minutes après minuit ne repose pas que sur la logique fondamentalement psychanalytique de son récit, qui pourrait vite lasser. Cette intellectualisation du monstre, comme outil d’évasion et d’apprentissage, est avant tout une déclaration d’amour évidente au fantastique, et à son besoin immuable pour l’être humain, qui trouve dans ces univers fertiles le meilleur moyen de parler de lui-même. Un miroir de notre condition que J.A. Bayona exploite avec de pures idées de cinéma, mêlant fiction et réel avec un sens de la cinétique et du découpage absolument bluffants, notamment quand il met en corrélation les mouvements du garçon à ceux du monstre, avec les contrastes de taille que cela implique. C’est de cet effet de comparaison que le cinéaste puise la force principale de son long-métrage, à savoir un équilibre dans des émotions antinomiques qui en viennent à se compléter, entre la douceur rassurante du merveilleux et son rapport constant à la violence du réel, que l’imaginaire transcrit tout en servant d’exutoire. Plus explicitement qu’E.T. ou Le Labyrinthe de Pan, Quelques minutes après minuit est une œuvre du deuil, qui touche avec une rare universalité à la souffrance qui en découle, passant avec une aisance désarmante par tous ses paliers, même les plus complexes à aborder. D’aucuns pourront accuser la dimension tire-larmes d’un film qui, en réalité, ne fait que poser les cartes de son maestro au bon moment, autant d’un point de vue de cinéaste que d’être humain, pour nous toucher avec un propos tout sauf évident à accepter sur la riche émotivité, parfois contradictoire, qui constitue l’Homme.
De cette façon, Bayona fascine par les multiples niveaux de lecture de son histoire finalement limpide, qui jouit de sa précision dans le maniement des sentiments de ses personnages et de son public comme un peintre impressionniste maîtrise les touches de couleurs. C’est d’ailleurs par un goût prononcé pour l’art pictural, directement repris des illustrations du livre de Patrick Ness qu’il adapte, que Quelques minutes après minuit se montre comme un hommage à la création sous toutes ses formes, à cette nécessité de combattre un vide aussi bien physique qu’existentiel. Par la maestria de sa mise en scène, Bayona amène une feuille blanche sur laquelle dessine Conor à devenir un écran de cinéma, cadre vierge n’attendant que les lumières de la projection pour lui donner vie. Les contes de l’arbre, rendus dans des aquarelles de toute beauté, se peignent sur un fond noir, tel le gouffre que cauchemarde le héros chaque nuit. Un fond noir dont le cinéaste traduit toute l’angoisse qu’elle signifie : celle d’un rien, d’une absence impossible à combler et qu’on ne peut combattre. C’est en partie pour cela qu’il est assez malhonnête d’accuser Bayona de trop mettre en avant les émotions que son film est censé provoquer, alors qu’il passe son temps à capter l’invisible, ce hors-champ insupportable qui ne fait que révéler le vide qui nous attend tous, et qui se laisse percevoir dans les détails d’une scénographie brillante ou d’un dialogue subtil.
Quelques minutes après minuit en devient un long-métrage sur une violence enfouie que nous partageons tous, que nous expérimentons tous, et qu’il délivre avec une rare acuité toute cinématographique, enfermant son héros entre les quatre lignes d’un écran qu’il désire éclater, comme lorsque la créature détruit le mur de sa chambre. Le cinéaste s’attarde avec brio sur la catharsis du monstre, cet être qui nous apporte une vérité que la réalité ne peut offrir. Et en ces heures où ce réel nauséabond semble plus que jamais attaché à nos pieds tel un boulet (y compris dans la culture), il est plaisant de voir un réalisateur nous rappeler, comme le dit son arbre vivant, de « faire attention à ce que l’on croit ». Une profession de foi amplement respectée par ce récit incroyablement juste et universel, qui confirme que J.A. Bayona a autant compris ses modèles qu’il perpétue leur héritage sur le pouvoir d’un imaginaire à défendre et à magnifier. De quoi donner un sens supplémentaire à la dernière séquence de son bijou, qui illustre parfaitement cette passation.
Réalisé par Juan Antonio Bayona, avec Lewis MacDougall, Sigourney Weaver, Felicity Jones…
Sortie le 4 janvier 2017.