Un exercice filmique fascinant mais trop théorique dans son exécution.
Après un premier film remarquable et remarqué, le styliste Tom Ford reprend la caméra et signe un nouvel essai plus expérimental et ambitieux, qui évoque immédiatement le cinéma mental de David Lynch. Pourtant, si le décorum lynchien y est repris stricto sensu, avec ses routes perdues et ses personnages patibulaires, Ford s’emploie à reformuler le récit multi-strates à sa façon, évitant de décalquer au hasard la matrice du genre, Mulholland Drive. Il contrarie par ailleurs le drame bourgeois, déjà présent dans A Single Man, en le confrontant à une trame de polar beaucoup plus brutale. La démarche intrigue et a le mérite de l’audace, surtout quand on sait nombre de réalisateurs incapables de se renouveler. Alors que nous raconte Nocturnal Animals ? L’histoire d’une galeriste d’art, Susan (interprétée par la désormais incontournable Amy Adams), qui ne trouve plus aucune satisfaction à sa haute condition. Un matin, elle reçoit un exemplaire du dernier roman de son ex-mari, Edward (Jake Gyllenhaal, très impressionnant, comme à son habitude), et plonge dans un univers impitoyable à mesure qu’elle dévore l’ouvrage. Peu à peu, sa lecture la pousse à reconsidérer sa liaison passée avec Edward et à comprendre le sens du roman. Tel pourrait être le résumé de ce film, à la fois complexe et simpliste, pour le meilleur et pour le pire.
D’abord, la structure séduit tant elle articule et fait correspondre différents niveaux de réalité. Le cadre chic de la villa de Susan s’oppose à l’environnement désertique du livre, de la même façon que le souvenir radieux d’un premier amour rentre en conflit avec l’austérité glacée du présent. Tout n’est qu’une question d’affrontement, de contraste, et la mise en scène applique cette logique jusqu’au bout. C’est aussi là que le bât blesse. À force de tout dissocier, Ford déséquilibre non seulement l’intrigue, qui s’éparpille et s’essouffle, et rend chaque couture, chaque inflexion du scénario trop évidente, alors qu’il aurait fallu construire un ensemble sans doute plus homogène et trouble à la fois. En l’état, on peut avoir le sentiment d’être pris par la main tant les enjeux clignotent lourdement à l’écran. Il faut voir par exemple comment le réalisateur dresse le portrait d’une société absurde, cynique, en filmant une femme botoxée ou des mannequins obèses comme portes-étendards d’un monde malade. Heureusement, comme pour A Single Man, il fait preuve d’une toute autre justesse sur le versant sentimental, où l’amertume et la culpabilité se dévoilent entre les lignes.
Quand il s’attache à la love-story déçue de ses personnages, Ford fonde son dispositif sur une approche beaucoup plus organique qui sied parfaitement à son style fiévreux. Les respirations, les regards, les caresses qui circulent entre Susan et Edward créent alors un vertige fascinant qui emporte tout le dernier tiers du film. La mise en abyme devient en outre particulièrement émouvante, dans la mesure où elle solde l’impossibilité de réparer ce qui a été défait et consacre l’entreprise punitive que poursuit Edward à travers son roman. À l’issue du film, la soif de justice qui anime l’écrivain, comme son alter-ego fictif, s’accomplit avec une cruauté inattendue et pourtant sans la moindre violence, à la différence des règlements de compte qui concluent l’intrigue du livre. À bien y réfléchir, c’est sans doute le dénouement le plus habilement frustrant et tragique que l’on ait vu au cinéma de mémoire récente. Les derniers plans, bercés par la musique envoûtante d’Abel Korzeniowski, constituent ce que le film a de plus beau et nous aident même un peu à relativiser ses défauts. Nocturnal Animals n’en reste pas moins maladroit dans les grandes largeurs mais qui sait, il peut très bien se bonifier à la revoyure. Laissons-lui le bénéfice du doute.
Réalisé par Tom Ford, avec Amy Adams, Jake Gyllenhaal, Michael Shannon…
Sortie le 4 Janvier 2017.