Personnage important s’il en est : antagoniste

Par William Potillion @scenarmag

Un antagoniste n’est pas une contradiction, ni un contraire du protagoniste. Ensemble, ils représentent les forces conflictuelles d’une fiction.

Une fiction a besoin de ces énergies pour exister.
Un antagoniste est une image réfléchie du héros. un alter ego. Il est la conscience du héros qui s’observe et parfois éprouverait un désir coupable.

Le conflit à la source de l’émotion

Pour qu’une histoire fonctionne émotionnellement, il lui faut du conflit. Et la forme conflictuelle la plus répandue est d’opposer un protagoniste et un antagoniste.

Du moins, de définir un antagonisme. Ce qui laisse plus de latitude dans l’invention que pour celle du protagoniste.

Le conflit le plus passionnant à suivre est de voir le héros résoudre ses propres conflits internes.
Néanmoins, même si le pire ennemi de l’homme est lui-même, il reste assez ennuyeux que de contempler un personnage être rongé par ses propres contradictions.

Ce mouvement du héros (son arc dramatique, en somme, c’est-à-dire l’évolution de sa personnalité au cours de l’histoire, d’aucuns diraient son salut) ne peut être mis à jour que par la dynamique interrelationnelle qu’il entretient avec un antagoniste incarné.
Et qu’il s’agisse d’une personnification ou de la manifestation d’une entité comme la nature ou un système carcéral ou encore un appareil juridique…

L’entité antagoniste sera d’ailleurs plus parlante pour le lecteur lorsqu’elle est symbolisée par un personnage. Selon l’intention de l’auteur, si le héros vainc ou non l’antagoniste à la fin de l’histoire, il sera plus facile de montrer le conflit et sa résolution lorsqu’il est incarné.

A la suite d’un tremblement de terre, par exemple, l’antagoniste est la nature elle-même.
Mais la question de la survie du héros ne peut seulement s’exprimer par une lutte contre les éléments naturels. Il sera plus facile alors de stigmatiser les efforts des autorités pour assurer la survie du plus grand nombre au détriment de l’individu (ce qui menace directement le héros).
Les autorités étant néanmoins elles-mêmes une entité, l’auteur peut alors créer un personnage qui la représente et devenir ainsi l’antagoniste du héros.

Hans Landa dans Inglourious Basterds, par exemple, est l’incarnation de toute l’idéologie nazie (qui est le véritable ennemi).

Une relation toute en contraste

En somme, l’antagoniste serait l’actualisation d’un aspect (peut-être désir) du héros ou bien la part d’ombre de celui-ci si l’on suit un peu Jung.

Une certitude, cependant. Plus l’antagoniste est puissant, plus le protagoniste devra être fort pour s’opposer à lui. Leurs fonctions dans l’histoire se manifeste par une relation contrastée. Ils sont la lumière et les ténèbres, le bien et le mal.

Ils ne s’expliquent que l’un par rapport à l’autre. Ce sont Darth Vader et Luke, Rene Belloq et Indiana Jones. L’antagoniste donne un but au protagoniste.

Une question de faille

Au moment du climax, l’ultime confrontation entre le héros et son antagonisme, il est prouvé que l’un des deux personnages a surmonté la faille qui le caractérisait depuis le début de l’histoire.

Le climax est normalement conçu pour que le protagoniste atteigne enfin son objectif. Mais son véritable combat est de vaincre ce qui l’affaiblit. C’est une question de subjectivité.
Pour illustrer ceci, et selon l’intention de l’auteur, ou l’antagoniste sort vainqueur et cela signifie que le héros a échoué non seulement dans son objectif mais aussi à devenir meilleur (ou bien encore qu’il n’a pas atteint son but mais qu’il connait tout de même une sorte de rédemption) ou bien le protagoniste vainc son adversaire et c’est la preuve de son salut.
Par contre, s’il réussit sa mission mais qu’il ne soit pas intérieurement changé dans le processus, le lecteur sera probablement frustré.

Pour totalement gagner, le protagoniste doit s’être montré capable de surmonter ce défaut qui l’accablait et qui l’empêchait jusqu’à présent d’être un être complet.
Et tout ceci, grâce à l’antagoniste. qui a succombé sans pouvoir intégrer ce qui le dévorait de l’intérieur.

Un antagoniste actif

Selon la théorie narrative Dramatica, l’un des modes d’être du héros est d’inciter les autres personnages à considérer son propre point de vue. Face à cette attitude, il existe un antagoniste dont l’action sera d’inciter les autres personnages à reconsidérer l’objectif du protagoniste.

Ainsi, à chaque étape positive du héros (un pas de plus vers son but), l’antagoniste doit le contrer avec quelque chose de négatif. Pour toute tentative du héros à résoudre son conflit interne, le méchant de l’histoire doit agir pour contrecarrer cet effort.

Et alors que le protagoniste fait avancer l’intrigue, ce mouvement peut être constitué en majeure partie d’esquives et de tentatives pour échapper aux obstacles jetés sur son chemin par l’antagoniste.
En quelque sorte, le protagoniste est dans la négation de son être. Il refuse de voir une certaine vérité.
Et c’est l’antagoniste qui en assure la démonstration par son activité pratique contre le héros.

Progressivement, cependant, les épreuves subies par le héros lui feront prendre conscience de certaines lumières sur lui-même. Il reprendra le contrôle de l’histoire, s’élèvera contre l’antagoniste et deviendra véritablement proactif.

L’antagoniste aux commandes de l’intrigue

Le conflit interne du protagoniste est ce sur quoi porte l’histoire. Et le moment le plus important de celle-ci a lieu lorsqu’il parvient à résoudre son problème personnel (qui n’est pas sa mission dans cette histoire. Cet objectif est une toute autre affaire au vu et su de tout un chacun).

Quant à l’intrigue, elle est constitué par le combat de l’antagoniste contre le protagoniste. Et le climax de ce combat se produit au moment de l’ultime confrontation physique entre ces deux personnages.

La faille de l’antagoniste

Un antagoniste n’est pas comme un animal qui apporte des réponses instinctives face à son environnement. Il est doué d’une nature humaine.

Et en tant que tel, celle-ci s’illustre bien en fiction par ses défauts. Donc le méchant de l’histoire possède une faille tout comme le héros.
La différence cependant entre eux deux est que le héros est capable de surmonter cette faille dans sa personnalité alors que l’antagoniste ne le pourra pas.

La faille du méchant est tragique dans le sens où elle le détermine à sa perte. Il n’est pas dans le dessein de Dieu de lui accorder le salut, si vous préférez.

Considérez, par exemple, les deux archétypes du Héros Intrépide et de la Brute. Ces deux-là peuvent fonctionner conjointement dans une histoire d’autant plus que leurs failles sont sensiblement identiques.
Ce qui les caractérise, c’est leurs difficultés à distinguer le bien du mal. Mais alors que le protagoniste comprendra ses erreurs et saura juger selon un code moral plus raisonnable, l’antagoniste se fourvoiera  dans son jugement erroné sur le monde. Il ne pourra pas remettre en question son point de vue.

Ce qui signifie que la défaite de l’antagoniste n’est pas essentiellement due au protagoniste mais à sa propre faille qu’il ne sait pas intégrer.
Dans Le Seigneur des Anneaux, Sauron est vaincu parce qu’il est incapable d’anticiper que Frodo détruira l’Anneau.
Ainsi que dans Casablanca, le Major Strasser est vaincu parce qu’il ne peut comprendre le nationalisme qui anime Rick.
C’est ainsi que le lecteur peut éprouver un sens de justice. La fin tragique du méchant de l’histoire est inhérente à sa fonction. C’est sa faille qui le pousse à ce destin funeste.

Quant aux actions du héros, bien sûr qu’il a élaboré des stratégies concrètes pour mettre à bas son antagoniste, mais la véritable victoire pour lui est de vaincre ses propres démons.

Les motivations du méchant

Souvent, les véritables intentions du méchant de l’histoire ne sont pas immédiatement accessibles au héros. Il lui faudra un peu de temps pour découvrir quel est son antagoniste et comprendre ses raisons.

Lorsque l’antagoniste est totalement éclairé, il s’avère être souvent bien plus brave que le protagoniste. Ce qui peut expliquer, par quelques défaites, pourquoi le héros de l’histoire connaît un grave moment de crise au cours de celle-ci.

Pour ne pas dévoiler trop tôt l’antagoniste, l’auteur peut employer un leurre. Ce sera un personnage qui aura toute l’apparence d’un antagoniste mais qui ne le sera pas.
La révélation, cependant, ne doit pas intervenir plus tard qu’au début de l’acte Deux. Néanmoins, si l’histoire ne s’y prête pas, au moins que le lecteur soit informé du véritable antagoniste, ce qui crée une ironie dramatique et ajoute au suspense.