Black Mirror est revenue sur Netflix en 2016 pour une troisième saison, et cela malgré une annulation après les deux premières saisons qui comptaient au total 7 épisodes. Une quatrième saison a déjà été commandée avec Jodie Foster pour la réalisation du premier épisode.
Cette série d’anticipations débute en 2011 sous la direction du showrunner Charlie Brooker, journaliste à The Guardian et scénariste connu en Angleterre – nettement moins outre-manche – pour son humour cynique et sa vision plutôt pessimiste du monde. Il nous propose avec Black Mirror une série d’anthologies, composée dans cette 3ème saison de 6 épisodes indépendants et dont chacun est vu comme un moyen métrage avec une diégèse qui lui est propre. Il est appréciable que les sujets ne soient pas réduits à un format traditionnel, ce qui permet aux réalisateurs – différents pour chaque épisode – de traiter le sujet dans sa profondeur et de nous laisser nous imprégner du monde pour réfléchir au nôtre.
Puisque c’est toute l’intelligence de Black Mirror, on nous montre à chaque épisode une dystopie qui pourrait devenir nôtre. La série insuffle une certaine angoisse et une certaine réflexion chez le spectateur puisqu’elle est vraisemblable.
On est en Angleterre – dans un futur plus au moins proche selon les épisodes – où la temporalité reste floue. C’est une Angleterre du futur, où toutes les mesures de sécurité et de contrôle, comme actuellement la CCTV, ont pris tellement d’ampleur que la technologie est devenue un acteur principal et omniprésent intégré au quotidien.
Dans les deux premières saisons, les gadgets technologiques sont banalisés dans la trame chronologique des événements. Tout le monde possède des implants pour développer ses capacités naturelles (vue, ouïe…). L’homme devient un super héros et se confond avec les machines, ses capacités sont nettement décuplées, il progresse et pourtant Charlie Brooker nous met face à un paradoxe car on voit petit à petit celui-ci poussé dans ses retranchements les plus primitifs. Ce qu’il y a de plus mauvais, ce sont les penchants les plus malsains qui sont décuplés et facilités par la technologie (l’humiliation en public dans « L’hymne national » et « 15 millions de mérites », la jalousie extrême et le dégoût de soi dans « Retour sur image », ou encore la prise de contrôle totale de l’autre dans « La chasse »)
Les personnages sont encore dans un monde où ils arrivent à se distancier de la technologie, à avoir un recul sur eux-mêmes et à interroger leur rapport à ces nouveaux moyens de vivre. Dans « Bientôt de retour » il y a un traitement intéressant de l’acceptation, par besoin, de la technologie. Ici un robot, puis un refus viscéral par peur de vivre dans un monde créé de toute pièce. La technologie arrive, elle est intrusive. Certains l’acceptent, d’autres sont réticents. L’objet technologique n’est pas encore tout à fait normalisé.
Brooker semble répondre à la question : » L’homme est-il naturellement bon ? » par un énorme non et nous en fait un exposé à travers ces 3 saisons.
Tout le monde se bat pour avoir le pouvoir. L’homme sans arrêt rabaissé, en devient pathétique. Certains épisodes sont d’autant plus angoissants car ils semblent très proches de notre époque. Ils critiquent des concepts évolués de notre société comme la télé-réalité et les télé-crochets dont l’enjeu n’est pas simplement la gloire pour une vie meilleure mais une vie tout simplement.
Dans cette troisième saison de Black Mirror, Brooker va plus loin encore et la technologie devient comme une religion au sein de la société. On est face à un retour en arrière sociétal dans le futur. Cette société évoluée a une idée du bon et de la justice radicale. Les objets technologiques sont banalisés et acceptés comme une nouvelle part de l’homme. L’objet n’est plus à part et utilisable selon le besoin et l’envie, il est littéralement en nous. Les hommes ont grandi dans ce monde et ne le questionnent plus. Il est difficile de parler de cette troisième saison sans décortiquer chaque épisode car ils possèdent leurs propres diégèses.
Le premier épisode de la saison 3 « Chute Libre » en est un excellent exemple. Lacie (Bryce Dallas Howard) est une 4.2 et se lance à la course au chiffre pour monter socialement et être enfin acceptée. Ici le monde est régi par les points aussi bien pour entrer dans des magasins que des cafés ou encore pour accéder à des privilèges. Cet épisode est particulièrement réussi car qu’il est à la fois vicieux et sadique. Il nous projette à voir un « monde » que nous construisons pour nos futurs enfants. Un monde dans lequel la gestion d’une I-réputation n’est plus un choix et on ne connaît pas autre chose, où la construction d’un moi parfait est indispensable pour vivre et le quota de like nous fait nous sentir vivant et partie d’un tout. C’est l’individualisme poussé à son paroxysme. Brooker dénonce la quête du toujours mieux. Lacie se demande quand elle sera contentée, quand elle se sentira « assez heureuse ». Brooker nous montre également le paradoxe d’une société fragile et superficielle : tout le monde donne son avis et tout le monde suit l’avis de masse. Il faut faire croire aux gens qu’ils ont le pouvoir de noter, décider, choisir pour les influencer encore plus facilement et les contrôler de l’intérieur.
Episode 2 : « Playtest ». Cet épisode met en jeu la réalité augmentée à un niveau de réalisme effrayant. Un voyageur se prête comme cobaye pour gagner un peu d’argent, il essaye un nouveau jeu d’horreur. La nouvelle technologie révolutionnaire le met face à ses plus grandes peurs qui se matérialisent devant lui. L’épisode – en plus d’une mise en place un peu longue – use un peu trop la mise en abyme, moyen déjà bien utilisé dans des épisodes précédents. Mais une fois de plus, ça marche et on est séduit par la pâte Black Mirror dans le twist de fin.
Episode 3 : « Shut up and dance ». On suit un jeune dont l’ordinateur a été piraté et qui se fait blackmailer par un inconnu qui a des informations compromettantes sur lui. Cet épisode fait écho au premier de la saison 1 dans le traitement du cyber-terrorisme et dont la manipulation est facilitée par internet. Cet épisode est anxiogène car il remet directement en question notre rapport à internet et la protection de nos données personnelles. Il est déconcertant de constater qu’une simple diffusion sur internet peut détruire la réputation de quelqu’un. Cet épisode fait également écho à « La chasse » où des personnes arrivent à se mettre dans une position de justicier, ici anonyme, grâce à internet et à faire appliquer des peines contre des actes qu’ils considèrent comme amoraux. On retrouve une ligne de direction et des échos entre les différents épisodes mais le traitement est unique car chaque épisode est dirigé par un réalisateur différent.
Episode 4 : « San Junipero ». Il est difficile de parler du génie de l’épisode sans le spoiler. C’est une histoire d’amour qui se poursuit à travers différentes temporalités. C’est l’épisode le plus fascinant de cette saison.
Episode 5: « Tuer sans état d’âme ». Cet épisode est sûrement le plus politiquement engagé. Brooker nous donne une idée de ce que pourrait apporter la technologie à l’armée. On suit un soldat qui commence à remettre en question son monde. Le twist final est excellent, heureusement car il est très attendu pendant tout l’épisode, et cela nous fait perdre un peu plus foi en l’humanité.
Episode 6 : « Hated in Nation ». Le dernier épisode qui clôt cette saison 3, est un long métrage d’une heure et demi qui commence comme une enquête policière classique sur le meurtre mystérieux d’une journaliste, Jo Power (Elizabeth Berrington), et dont la suite de cette enquête en révèle beaucoup plus. Cet épisode questionne notre rapport aux réseaux sociaux, les effets de masse qu’ils engendrent, et la puissance des « haters » d’internet. C’est sur cette vision apocalyptique que se finit la saison 3 de Black Mirror.
Malgré l’importance des sujets abordés, la mise en scène n’est pas alarmiste et oppressante. C’est d’abord divertissant et jouissif à regarder. On ne consomme pas Black Mirror comme une série divertissante au format 20 minutes. Les épisodes sont rares, plus longs et plus denses, on reste concentré et on savoure chaque détail qui mène à la chute tant attendue qui remettra notre perception du monde en question.