LA GRANDE MURAILLE : De l’expression se prendre un mur ★☆☆☆☆

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Un gros n’importe quoi pensé pour les contraintes du marché chinois.

Transformers : L’Âge de l’extinction, Pacific Rim, Seul sur Mars, ou plus récemment Independence Day : Resurgence et Doctor Strange : cela n’échappe plus à personne, Hollywood s’attelle depuis plusieurs années à faire de l’œil à la Chine, marché de plus en plus important pour les recettes d’un film, mais aussi pour de nombreuses productions qui dépendent d’actionnaires venant de l’Empire du Milieu. Le problème, c’est que l’intégration de personnages ou de décors asiatiques se révèle souvent forcée et cynique, quand ce ne sont pas les cahiers des charges et autres actes de censure imposés par le Comité central qui obligent les cinéastes à tordre leurs envies. Un principe qui est en train de prendre une forme inédite dans l’histoire du cinéma, depuis que le studio Legendary Pictures (autrefois associé à Warner, et aujourd’hui à Universal) a été racheté par Wanda Group, et contraint de proposer des films calibrés pour un public extrême-oriental tout en conservant des propriétés typiquement hollywoodiennes.

La Grande Muraille s’avère donc être un cas intéressant puisqu’il est la première véritable expérimentation dans le domaine, fondée sur un symbole du patrimoine chinois usé à des fins de fantasy (la grande muraille a été construite pour protéger le monde de gros monstres venus d’un météore !), avec un casting majoritairement chinois et un réalisateur chinois à la barre. Mais histoire de rassurer les occidentaux, tout ce petit monde est soutenu par une tête d’affiche ultra-bankable (Matt Damon), dont la présence du personnage est justifiée dès les premières minutes du métrage, pour éviter toute interrogation du spectateur. Une raison d’ailleurs plutôt ingénieuse, puisque le guerrier William Garin (Damon, donc) est à la recherche de la poudre à canon, technologie encore inconnue en Occident, et qui aide à mythifier le pays que le film est censé mettre en avant.

Néanmoins, le principal problème de La Grande Muraille réside dans son obligation à justifier ce type de choix, principalement amenés par des exécutifs au cerveau rempli de diagrammes. Car en voulant se présenter comme un blockbuster moderne, ouvert à des cultures autres que celle de l’Oncle Sam, le film ne fait pourtant que racoler en pillant tous les succès récents du box-office, aussi bien chinois qu’américain. Et face à son pitch de série B alléchante, il ne nous reste que nos yeux pour pleurer devant la déconstruction progressive de l’entreprise, qui empile les idées de scénario, les plans et les designs du Seigneur des Anneaux, d’Avatar, de 300, de World War Z ou encore de certains volets Marvel, dans le non-sens le plus total. Bien entendu, le script ne parvient jamais à se défaire de ce melting-pot indigeste, et souffre ainsi des mêmes tares que la majorité des blockbusters récents, incapables de construire des arcs dramatiques consistants et logiques.

De cette façon, La Grande Muraille souffre surtout de sa volonté de plaire au plus grand nombre, alors qu’il ne contente personne, et ce n’est pas Zhang Yimou, le génial réalisateur de Hero et du Secret des poignards volants, qui dira le contraire. Incapable d’imposer sa patte au sein de ce foutoir dont il a probablement perdu le contrôle au fil des réécritures, il en arrive même à des aberrations de mise en scène indignes d’un cinéaste de sa trempe, à commencer par les dix premières minutes absolument catastrophiques. Entre le sidekick insupportable joué par Pedro Pascal, qui paraphrase tout ce qui se passe à l’écran, et une scénographie aux fraises (sans rire, une scène importante autour d’un feu de camp est entièrement constituée de gros plans, ce qui ne facilite en rien une spatialisation le reste du temps approximative), La Grande Muraille frôle l’accident industriel, voire par instants le nanar pété de thunes à la Gods of Egypt, se rattrapant de peu avec quelques belles idées (une cérémonie funéraire de toute beauté) et quelques envies d’action décomplexée et jouissive qui ne sont malheureusement que distillées sur l’ensemble du long-métrage.

En réalité, il manque surtout à l’ensemble une folie qui le rendrait au moins hilarant, ce qu’il n’est que durant quelques scènes d’action où Yimou déploie une dynamique de mise en scène plus inspirée et plus cinétique, dans la veine des productions hongkongaises dont on espérait que La Grande Muraille s’inspirerait. Cependant, la dimension badass et over the top du métrage, ralentis stylisés à l’appui, ne l’emporte jamais vraiment sur le ridicule de certains passages, comme lorsque Pedro Pascal attire un monstre avec une cape rouge tel un toréador (parce qu’il est espagnol, vous comprenez !). C’est d’autant plus dommage que le film, par ses multiples financements, possède une production design plutôt convaincante, au même titre que ses effets spéciaux, bien que parfois inégaux. Il ne reste donc à La Grande Muraille que sa profession de foi initiale, voulant attirer diverses cultures sous une même bannière. Une profession de foi qui intéressera peut-être les historiens du cinéma quand la démarche sera devenue courante, et à laquelle Zhang Yimou s’accroche avec ferveur. En effet, le seul élément de scénario qu’il s’attelle à soigner est la notion de respect entre les sociétés, entre des pays qui ne sont pas si différents. Ce propos humaniste, certes facile et pas réellement subtil, s’avère assez pertinent au sein du contexte de mondialisation qui a permis au long-métrage de naître. Les personnages sont mis sur un pied d’égalité, principalement William et le commandant Lin Mae (Jing Tian), cette dernière évitant de devenir un simple love interest pour le héros. On ne pourra pas octroyer à La Grande Muraille ce sens de la diplomatie, que d’aucuns accuseront de démagogie, mais on pourra regretter que cette période, qui s’annonce comme une nouvelle ère du cinéma de divertissement, s’ouvre avec une telle déception. Espérons que Legendary en retiendra des leçons, afin que son film ait au moins l’utilité d’essuyer les plâtres.

Réalisé par Zhang Yimou, avec Matt Damon, Jing Tian, Pedro Pascal

Sortie le 11 janvier 2017.