Inventez un méchant de l’histoire n’est pas une chose aisée. Il y a d’abord son essence, sa nature, sa fonction dans l’histoire : il existe pour s’opposer à un protagoniste.
Puis plus cet antagoniste sera puissant et plus le protagoniste exigera de lui-même s’il veut contrer cette force qu’un auteur lui oppose.
Un antagoniste n’est déclaré tel que par convention. Le lecteur a identifié le héros. Et on lui a désigné quel était son ennemi.
Mais du point de vue du méchant, les actes qu’il commet et qui peuvent sembler déraisonnables pour le protagoniste et d’autres personnages répondent à une morale (certes quelque peu déficiente).
Pour lui, ce qu’il fait n’est pas une chose mauvaise. Elle est jugée mauvaise par les autres mais pas par le personnage qui l’accomplit.
Le méchant doit être réaliste
Au même titre que le héros, l’antagoniste doit trouver son chemin auprès du lecteur. Sa présence ne peut pas seulement être gratuite dans l’histoire.
Il ne peut pas agir seulement parce qu’il a une fonction de méchant. Bien sûr, ses actions projettent sur lui une certitude qui le désignent immanquablement comme une force obscure.
Mais cette obscurité symbolique n’élude pas des intentions, des motivations qui doivent être logiques (dans une perspective humaine) et aussi être comprises par le lecteur (sur certains points au moins).
Créer un méchant en forçant ses traits négatifs est insuffisant. Il faut tenter d’établir un équilibre en démontrant que ses actions sont immorales mais tout en conservant quelques possibilités salvatrices.
Par exemple, Hans Landa de Inglorious Basterds représente l’idéologie nazie mais il parle plusieurs langues et sait se mettre à la place des autres.
Ces deux qualités qui ne servent pas l’idéologie dont il se réclame ne traduisent-elles pas tout à la fois le besoin de communiquer des hommes et leur impossibilité de se comprendre les uns les autres ?
Ne sont-elles pas en elles-mêmes une possibilité de rédemption ?
Une place méritée
L’antagoniste est un élément critique de toute fiction. Il est en quelque sorte l’initiateur du courage et de la force dont le héros aura besoin pour évoluer.
La fonction de l’antagoniste est d’empêcher le protagoniste de réussir son objectif dans l’histoire. Mais il faut transcender cette fonction et rendre ce méchant autant complexe et riche qu’il est méprisable.
Qu’il soit ou non l’incarnation d’un concept, il est nécessaire de le positionner dans l’histoire avec toute la complexité d’une nature humaine.
Comme le héros, un méchant a des rêves, des besoins et des désirs. Comme un héros, il souhaite la complétude de son être. Ce qui différencie ces deux-là (dont on peut dire qu’il se reflète l’un dans l’autre), ce sont les méthodes pour y parvenir.
Nous retrouvons ce motif entre René Belloq et Indiana Jones et plus récemment entre Robert Langdon et Bertrand Zobrist (Inferno adapté par David Koepp).
Peut-être partagent-ils les mêmes vues mais leurs modes d’être sont radicalement différents. Le méchant est persuadé que ses buts le rapprocheront du bonheur sans comprendre cependant que ses failles et son point de vue biaisé sur le monde sont précisément ce qui le tient éloigné de la félicité.
Explorer la personnalité de l’antagoniste
Il faut faire connaissance avec le méchant de l’histoire. Réservez quelques scènes où on le voit dans son monde ordinaire. Tout comme pour le héros, tentez de dénicher dans son passé un événement qui l’a blessé et qui a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui
Et même si vous ne vous en servez pas dans votre scénario.
Par ailleurs, il n’est pas inutile de glisser dans le cours de l’histoire quelques indices sur la psyché de l’antagoniste. Cela peut aider à éclaircir le personnage dans l’esprit du lecteur en lui expliquant comment il est devenu la personne qu’il est.
Bien sûr, le lecteur pourrait ne pas être d’accord avec les intentions de l’antagoniste ou bien peut-être aussi lui pardonner sa conduite, mais quoi qu’il en soit, il possédera sur lui quelques informations pour lui permettre au moins de comprendre pourquoi il agit comme il le fait.
L’étude du vécu d’un personnage, ses expériences, son environnement, les rencontres qui l’ont influencé, tout cela contribue à façonner ce qu’il est devenu lorsque nous faisons sa connaissance.
Néanmoins, on peut aussi considérer que le méchant est déterminé à échouer. Que c’est dans son essence.
Mais pourquoi se priver d’élaborer un peu plus le personnage ? Puisque nous nous efforçons d’inventer un événement qui a profondément bouleversé la vie du héros, autant jouer le jeu et implanter dans la vie de l’antagoniste un événement semblable (quant à ses conséquences).
Le personnage est dans l’erreur
Tout comme le héros, un événement traumatisant a orienté l »antagoniste dans une direction erronée. Il fuit les émotions négatives et ses failles sont alors une protection pour ne pas revivre les mêmes souffrances, les mêmes angoisses.
C’est une question d’éthique en fait qui différencie l’antagoniste du protagoniste. Ils peuvent avoir tous deux les mêmes buts et les mêmes désirs mais leurs méthodes pour les réaliser n’ont pas le même degré de moralité.
La question d’éthique serait donc une question préalable que doit se poser l’auteur dans l’élaboration de son antagoniste.
C’est ainsi que face à l’adversité, l’antagoniste repose sur ses traits de caractère négatifs pour trouver la force pour contourner le tourment.
Une fois que vous aurez une idée d’où vient votre méchant et ce qui a fait de lui l’être qu’il est, il sera relativement facile d’opter pour les failles qui correspondent le mieux à sa nature. C’est-à-dire des traits de caractère qui lui insufflent une puissance.
Un jeu de miroirs
Généralement, cette puissance qu’il acquiert dans ses traits négatifs répondent aux faiblesses du héros. Le méchant a un don pour frapper là où cela fait mal.
Par exemple, si votre protagoniste est quelqu’un de plutôt timide alors son antagonisme sera un personnage très sûr de lui.
Le principe est que leurs traits de caractère s’opposent à chacune de leur rencontre.
Alors que le protagoniste doit parvenir à surmonter ses failles (ce qui le sauve et nourrit son arc dramatique), la faille de l’antagoniste sera tragique dans le sens où il est condamné à périr car il ne saura pas comment intégrer ses failles.
Ce déterminisme est lié à la fonction du méchant et peut-être qu’il en est ainsi pour satisfaire le sens de justice dont a besoin le lecteur (au risque de le frustrer autrement).
Cependant l’auteur est responsable. S’il préfère que son antagoniste reconnaisse son erreur et évite une fin tragique, il peut l’autoriser à changer son point de vue sur le monde.