Ben Affleck s’attaque à nouveau au film de gangster pour un rendu solide mais parfois impersonnel.
En adaptant de nouveau le romancier Dennis Lehane après son premier film Gone Baby Gone, Ben Affleck marque définitivement avec Live By Night la ligne directrice de sa filmographie, à savoir un goût pour le romanesque lié de près ou de loin à l’illégalité (voire la criminalité), qui se révèle constitutive de l’histoire et de mythes américains. L’enquête poisseuse de Gone Baby Gone, les braquages de The Town et l’énorme mensonge autorisé par le gouvernement dans Argo, voilà un tableau que vient compléter Live By Night, et ce plus explicitement que jamais, puisqu’il prend place dans des années 20 en pleine Prohibition, période longtemps fantasmée par le cinéma pour dépeindre la figure du gangster. Et entre les logos de production affichés avec de fausses imperfections de pellicule et la voix-off désabusée de son protagoniste, le film assume son hommage aux polars de l’âge d’or hollywoodien. Ben Affleck n’a jamais été un inventeur de formes, mais un réalisateur toujours à la recherche de la meilleure façon de traiter son sujet, puisant dans des inspiration cohérentes qu’il ne singe jamais bêtement, et Live By Night en est peut-être l’exemple le plus évident.
Se reposant notamment sur la sublime photographie de Robert Richardson, qui oscille entre une certaine crudité et des tonalités proprement irréelles, le métrage jouit d’une mise en scène extrêmement solide, souvent maline et référentielle (il pioche dans le cinéma classique mais aussi chez des noms comme Scorsese, dont il reprend en partie le célèbre plan-séquence des Affranchis) sans tomber dans le passéisme. Certes, ce retour à un certain classicisme empêche parfois le réalisateur d’exposer une patte un peu plus originale, au risque de lasser parfois, mais il faut reconnaître à Affleck son exigence qui offre à Live By Night quelques beaux moments de cinéma, d’une vive course-poursuite en voitures d’époque à la mise en valeur de décors baignant dans une lumière somptueuse (une eau rosie au coucher de soleil). En bref, une déclaration d’amour évidente au genre qu’il investit, néanmoins cohérente avec l’évolution de son récit, qui se concentre sur des êtres qui n’ont pas nécessairement des envies de pouvoir et de violence.
En effet, Joe Coughlin (joué par Affleck lui-même) n’est au début qu’un petit braqueur n’ayant nullement l’ambition de dépasser son statut. Désireux de gravir les échelons par simple revanche, le personnage se lance dans un parcours perclus d’illusions, qui vont s’écrouler sous ses yeux au fur et à mesure. Contrairement au criminel imperturbable, Affleck déploie ici le romantisme d’un être plus fragile, torturé de plus en plus par un mal qui l’attaque de tous les côtés. Live By Night se concentre ainsi sur la préservation d’une dignité, enjeu central d’un récit dont les figures ne souhaitent pourtant que tomber dans les clichés que sous-tendent leur rôle. Une belle façon pour le cinéaste de tordre le cou à certains préjugés autour du film de gangster, voire à apporter des pointes d’humour inattendues, telle cette fusillade qui vrille au tir allié accidentel. Néanmoins, le métrage n’en vient pas à se complaire dans un post-modernisme trop fier de ses envies de déconstruction, et préfère s’intéresser à une vraie iconisation à l’ancienne de ses personnages, par ailleurs assez nombreux. Et si l’ensemble a parfois des difficultés à éviter quelques raccourcis et temps morts dans sa narration, il ne sacrifie jamais les êtres qui constituent son histoire, leur livrent à tous des motivations, une réussite ou une chute pertinente, et donc une accroche immédiate. En cela, on retiendra surtout l’évolution fascinante de la jeune Loretta Figgis (Elle Fanning), ingénue tombant dans les affres de la drogue, avant de se reconvertir en prêtresse dévouée à Dieu. En une poignée de séquences, Affleck parvient à déployer toute sa complexité, comme pour d’autres protagonistes qui deviennent le cœur de Live By Night, ainsi que sa principale originalité.
De cette façon, le cinéaste touche à une diversité au centre de son récit, s’attaquant avec hargne à l’individualisme et au communautarisme soutenus par des États-Unis fondés sur le colonialisme et la peur de l’autre. Et c’est dans cette dichotomie lucide entre la vision fantasmée de la culture américaine et le mal qui la compose que Live By Night trouve ses plus beaux moments. Affleck dépeint avec une certaine justesse le ver de la violence caché dans le fruit d’un pays magnifique en apparence. Pourquoi combattre le crime dans une société qui appelle au crime ? Voilà une question que le métrage aborde avec un sens critique pertinent, au point de résonner avec des problématiques contemporaines sur l’identité américaine. Le film débouche ainsi sur une réflexion autour du déterminisme social inhérente au genre, bien qu’il n’apporte rien de plus que ses modèles. C’est peut-être d’ailleurs à cause de cet artisanat très propre mais par instants piégé par ses envies de pastiche, que l’ensemble peine à pleinement nous emporter dans son monde. Live By Night ne parvient pas à devenir un long-métrage marquant, mais il serait malhonnête de ne pas souligner la tenue du travail de Ben Affleck et de son équipe, ainsi que la place de choix que prend cette œuvre dans la filmographie de son auteur. Le film de gangster a toujours été focalisée sur l’histoire du pays qu’il dépeint. Voir dès lors un pur enfant de l’Amérique, ayant suivi le parcours du self-made man, utiliser l’outil de son succès pour interroger la nature des mythes qui ont façonné sa personne, s’avère assez réjouissant.
Réalisé par Ben Affleck, avec Ben Affleck, Zoe Saldana, Elle Fanning…
Sortie le 18 janvier 2017.