Evaluez votre scenario : le protagoniste (3)

Par William Potillion @scenarmag

Pour évaluer notre scénario, nous nous sommes proposés de répondre à quelques questions.
Nous avons commencé avec le protagoniste.

  • EVALUEZ VOTRE SCENARIO : LE PROTAGONISTE (1)
  • EVALUEZ VOTRE SCENARIO : LE PROTAGONISTE (2)

Le but de cette interrogation est de tenter de répondre par l’affirmative à toutes les questions posées. Certaines peuvent paraître redondantes mais il n’en est rien.
Cela signifie simplement que tout est lié dans une fiction.

Abordons maintenant la faille du héros.

LE PROTAGONISTE

Est-ce que les failles dans la personnalité du protagoniste existent ?
Et sont-elles en rapport avec la teneur de mon message ?

Le défaut dans la personnalité du protagoniste est indispensable dans le développement du personnage.
Opter pour des données communes comme une addiction ou bien la perte d’un être cher (si cette perte est posée là sans conséquences directes dans le scénario) n’ajoutera que peu de profondeur à un personnage.

Pour en faire un être à trois dimensions, il faut approfondir davantage sa réflexion.
Celle-ci commence par comprendre ce que vous cherchez à dire avec votre scénario. Vous pourriez ainsi réfléchir au dénouement de votre histoire et en induire votre protagoniste.

Avec cette idée de personnage en tête, inventez quelques failles qu’il devra surmonter et assurez-vous qu’elles fonctionneront avec votre thématique.

Du conflit

Les obstacles, les épreuves, toutes ces tribulations que vous jetterez sur le parcours du héros sont en apparence conçues pour l’empêcher de réaliser son objectif.
Mais l’objectif est extérieur au personnage. Et aussi passionnant que puisse être l’action, c’est tout de même d’assister à la transformation progressive de la personnalité du héros, de la voir évoluer d’un point de vue interne, qui rend l’histoire vraiment passionnante.

L’étude de la subjectivité de ses personnages est donc un moment important dans le processus de création d’un auteur.
Cette transfiguration du protagoniste constitue son arc dramatique.

L’arc dramatique

L’arc dramatique peut se résumer à un aspect négatif du personnage au début de l’histoire puis se terminer par un aspect positif. Cette trajectoire étant jalonnée par quelques étapes dont certaines sont de véritables prises de conscience.

La méthode qui consiste à commencer par le dénouement n’est qu’une proposition. Si vous avez imaginé le changement par lequel devrait passer l’un de vos personnages, vous pouvez vous positionner sur ce concept et tracer, par exemple, les différentes étapes qui signaleront cette transformation progressive.

Gardez à l’esprit cependant que certains genres ont besoin d’une faille chez leur protagoniste. La comédie, par exemple, ne peut se passer de voir les efforts que tente son personnage principal pour vaincre son problème personnel. Elle s’en nourrit.

Dans les histoires d’action pure, l’intériorité des personnages ne peut pas vraiment être explorée car le rythme est bien trop rapide. Le changement est alors minime. Mais tentez malgré tout de l’incorporer dans la définition de votre protagoniste.

Même l’horreur a besoin de personnages qui présente une imperfection. Cela est très bien démontré dans L’orphelinat de Sergio G. Sánchez où le problème de Laura (donc sa faille) est qu’elle est hantée par son passé et qu’elle ne peut plus en conséquence avancer dans sa vie.

Présupposez si vous n’en êtes pas convaincu que de voir un personnage se battre à la fois contre un objectif extérieur et tenter de résoudre un énorme obstacle interne le rend bien plus intéressant à suivre.

Nous vous conseillons l’interview de John Truby à ce sujet :

TRUBY : FAIBLESSE & BESOIN

La simplicité de la faille

Vous pouvez ajouter toute la profondeur psychologique que vous souhaitez à votre protagoniste ou à n’importe lequel de vos personnages.

Cependant, les failles les plus simples sont universelles. C’est cela qui fait leur force et c’est la raison aussi de leur présence dans les histoires.
Et ce n’est pas parce que vous utilisez une faille chez l’un de vos personnages qui a déjà été attribuée par des dizaines d’autres auteurs que vous manquerez d’originalité.

Rappelez-vous que c’est avec ce que vous allez faire de tous les éléments dramatiques à votre disposition que vous ferez une histoire unique et originale.
Les failles les plus communes fonctionnent parce que le lecteur se reconnaît en elle. Elles parlent au plus grand nombre. Et c’est pour cela qu’elles peuvent émouvoir un grand nombre de lecteurs.
Parce qu’ils peuvent les identifier. Et plus la faille est universelle et plus le lecteur pourra s’y identifier.

Une vie de forçat

Un défaut auquel beaucoup de personnes succombent. Pour se faire une place socialement ou bien pour l’argent ou pour toute autre raison valide, la famille et les amis sont sacrifiés au profit d’une autre activité.

La question dramatique devient alors pour le héros :
Parviendra-t-il au cours de l’histoire à réaliser que la famille est plus importante que son travail ?

Cette attitude est très souvent employée dans les fictions et quel que soit le genre. Le genre n’a d’ailleurs pas grand chose à voir avec la faille du protagoniste.

C’est précisément le problème de Billy Beane dans Le Stratège de Aaron Sorkin et Steven Zaillian, d’après Moneyball: The Art of Winning an Unfair Game.

Le mur

C’est un défaut qui tourmente beaucoup de monde. C’est une peur de l’autre ou plus précisément une peur de se dévoiler à l’autre. On peut trouver nombre de raisons à cette peur : un amour perdu, un abandon affectif…

Ce mur provient souvent d’une perte. Et comme nous ne pouvons pas montrer cette souffrance qui nous taraude au plus profond de notre être, nous montons un mur entre autrui et nous-mêmes.

Will dans Will Good Hunting présente ce trait de personnalité. Il semble vivre le monde à fleur de peau mais pourtant ni Skylar, ni Sean, ni son professeur n’ont accès à Will.
Il se réfugie derrière un mur et tout l’arc dramatique de Will consistera à abattre ce mur.

Le manque de confiance en soi

Il n’est certes pas facile de convoquer toute la confiance en soi qu’il faut pour continuer à se battre au quotidien ou simplement continuer.

Ce manque de confiance est par contre facilement identifiable par le lecteur qui peut parfois en souffrir lui-même et ainsi saisir rapidement ce trait de personnalité chez un personnage de fiction.
De plus, observer un protagoniste qui parvient à le surmonter invoque irrésistiblement une forte réaction émotionnelle.

Une histoire, c’est un peu comme une leçon de vie. Voir un personnage fictif gagner la confiance en soi qui lui manquait nous fait penser que nous aussi, nous pouvons vaincre ce qui nous retient.
Ce n’est pas d’émulation dont nous parlons ici. Mais bien d’une prise de conscience du lecteur lorsqu’il s’agit de ne plus laisser la mainmise de nos doutes nous dicter nos choix.

Luke Skywalker illustre ce trait de caractère.

Ne pas être à la hauteur

Ce défaut de personnalité se manifeste en plaçant le personnage dans nombre de situations où il pourrait s’en sortir mais par la faute même de sa faille ne se montre pas à la hauteur.

Cela est souvent employé dans les comédies parce que c’est facile à mettre en place et contient en soi une base comique. Quant à la rédemption, il suffit d’écrire l’ultime scène où le personnage vaincra cette peur qui le caractérise.

Cette facilité apparente d’exécution est peut-être la raison pour laquelle ce sont souvent d’autres personnages que le protagoniste auxquels on assigne une telle qualité.

George McFly est un garçon qui manque de fermeté et de constance. Il faut bien admettre que la plupart le considère comme une mauviette.
Il a peu d’amis. De plus, il semble en effet que cette qualité se marie bien avec un univers plutôt solitaire.

Donc l’attitude générale que l’on retire de George McFly est qu’il est incapable d’être à la hauteur à chaque fois que la situation devient un peu tendue.

Ce qui s’associe bien aussi avec ce type de faiblesse est un degré de spiritualité un peu plus prononcé que la moyenne.
Parfois, une caractéristique physique fonctionnant un peu comme un handicap est présente. Elle sert à démontrer que cette faiblesse du personnage à ne pas faire face à la réalité des choses n’est pas une affaire de lâcheté (c’est une toute autre question).
Mais plutôt un problème réversible comme Marty a réussi à en convaincre son futur père.

Ne penser qu’à soi

Probablement la faiblesse de la nature humaine qui s’est imposée comme une évidence dès l’instant où deux êtres humains doués de conscience se sont rencontrés.

Il y aura toujours des gens qui penseront que ce qu’ils font est plus important que ce que font les autres. Donc ils se mettront en avant méprisant autrui (une vérité qui apparaît si l’on creuse un tant soit peu sous les atours médiatiques les plus séduisants).

Une telle qualité plutôt négative se rencontre souvent et elle est assez amusante à explorer. Mais attention au protagoniste. En effet, il est nécessaire qu’il reçoive de l’empathie de la part du lecteur.

Et alors que les quelques faiblesses que nous avons énumérées ci-dessus ne gênent en rien l’installation de l’empathie, cet apparent égoïsme du personnage principal provoque une antipathie foncière.

Il va vous falloir faire preuve d’invention dans la création de votre personnage principal pour contrer cette tendance naturelle du lecteur à le détester.

Fletcher Reede (Menteur, Menteur) est affublé d’une telle faille dans sa personnalité. Mais plusieurs indices nous prouve qu’il ferait tout pour son fils. Etre un bon père de famille est une qualité suffisamment positive pour contrer l’impact désastreux de la saisie d’un personnage égoïste par le lecteur.

Le refus de grandir

Cette faille est intéressante à plus d’un titre. D’abord, elle est en mesure de fournir des situations cocasses pour alimenter la comédie.

Ensuite, elle est la démonstration d’un refus de prendre ses responsabilités. Comme si le parcours initiatique vers l’âge adulte avait été brutalement interrompu par quelques traumas dans l’enfance du héros.

Cette faille a souvent été exploitée. Il est donc prudent de tenter de lui donner un tour nouveau, comme, par exemple, en faire une caractéristique d’une héroïne (et non plus l’apanage d’un homme).

Le refus de grandir est aussi très commun dans la vie réelle. Son intérêt dans un scénario est de sonder pourquoi un tel défaut dans la personnalité d’un protagoniste a pu être implantée.
Les raisons des choses sont toujours une source d’inspiration.

L’inflexibilité

Celui qui possède ce trait de caractère a tendance à susciter de la part d’autrui une réaction d’énervement. On a envie de lui crier à la figure de laisser couler pour une fois.

Joel Barish (Eternal Sunshine of the Spotless Mind) est quelqu’un de faible. il dit lui-même que sa vie n’est pas très intéressante. Il se rend à son travail, retourne dans sa maison et c’est à peu près tout. Son monde ordinaire est une répétition infinie des mêmes événements.

Il n’est pas dépourvu d’émotions. Il en déborderait même s’il ne les retenait pas. Barish cache sa véritable nature et ne l’expose surtout pas au monde, ce qui le rendrait encore plus vulnérable.
Cependant, celle-ci s’exprime dans ses dessins.

Pourtant, de cette vie identique jour après jour, Barish en est malade. Il voudrait en changer mais ne sait pas comment. L’inflexibilité du personnage se situe là. Dans son impossibilité actuelle de changer les choses.

A cause de cette retenue émotionnelle, Joel Barish a construit un mur autour de lui. Notez comment des failles différentes s’imbriquent les unes aux autres afin de rendre plus complexe et aussi plus intelligible pour le lecteur la personnalité de Barish.
Concrètement, Barish est quelqu’un de nerveux (comme si la pression de ses émotions influait sur ses comportements) et peut à peine parler aux inconnus (ce qui de son point de vue le fragiliserait).

Il essaie cependant de nouvelles expériences par de nouvelles rencontres. Mais il échoue systématiquement. Et on doit bien admettre qu’il préfère une issue malheureuse plutôt que de s’engager plus avant avec quelqu’un.
Là aussi, nous dénotons de l’inflexibilité dans une certaine attitude alors que cette dernière le blesse.

Lorsque cette caractéristique n’est pas assignée au protagoniste, elle est alors le fait d’un autre personnage qui vient se poser en contraste du personnage principal.
Lorsque Vivian (Pretty Woman) a quartier libre avec crédit illimité de la part de Edward, elle se rend dans une boutique où l’inflexibilité de la vendeuse vient appuyer sur la différence de ce monde encore inconnu dans lequel Vivian a été jetée.

L’imprudence

Selon les vertus cardinales, la prudence (assimilée à la sagesse) est ce qui permet en toutes situations de discerner le bien et d’opter pour les bons moyens pour l’accomplir.

L’imprudence serait alors d’ignorer la brièveté de la vie, de négliger les occasions de son salut. Il ne s’agit pas non plus de faire de l’imprudence un vice.
Comme Martin Riggs (L’arme fatale), cette faille dans sa personnalité mène le protagoniste à entrer dans des situations très chaotiques qui ont pour finalité très précisément de lutter contre cette imprudence.
Il lutte contre le mal par le mal.

L’imprudence décrite chez un personnage cependant émeut plus difficilement le lecteur. Elle manque de l’universalité des autres failles. Le lecteur reconnaît difficilement le manque de discernement car ce n’est pas une expérience qu’il pratique au quotidien.

Un défaut de personnalité doit faire écho dans l’esprit du lecteur. Or l’imprudence  n’est pas quelque chose à laquelle un lecteur répond émotionnellement.
Par contre, elle est tout à fait valide comme faiblesse qu’un héros doit surmonter. Elle risque seulement de manquer de punch émotionnel.

La perte de foi

En fait, il s’agit de tout état où le personnage est parvenu en lequel il nie toutes les croyances qui étaient siennes jusqu’à présent.
Que ce soit envers Dieu, envers une autorité, envers autrui… Tout ce en quoi croyait le protagoniste est devenu obsolète.

Un événement est souvent à l’origine de ce revirement. Et c’est un sentiment très commun que de s’interroger sur ses propres croyances.
Ce qu’il est bon d’explorer, ce sont les raisons qui ont conduit ce personnage à modifier si radicalement ce en quoi il avait foi.

Un exemple classique est le père Damien Karras dans L’exorciste qui a remis en question sa foi après la mort de sa mère.
Perdre un être cher est une expérience douloureuse partagée par des millions de personnes. Elle résonne très fortement lorsqu’elle est exposée par un personnage de fiction.

La perte de foi est une faille qui fonctionne très bien sous la condition de la traiter avec pudeur.