« Jackie » : L’être et l’image selon Pablo Larrain.

« Jackie » : L’être et l’image selon Pablo Larrain.

Avec Natalie Portman dans le rôle d'une personnalité aussi célèbre que Jackie Kennedy, le projet de ce long-métrage sur l'une des plus célèbres premières dames des Etats-Unis aurait de quoi rechigner les plus sceptiques (dont moi) par peur de voir un énième biopic calibré pour les Oscars. C'était sans avoir lu le nom de Pablo Larrain, crédité en tant que réalisateur...

Seulement quelques semaines après son long-métrage sur le poète " Neruda" , sublime pensum sur la manière dont l'Art peut façonner nos vies et notre réalité, Pablo Larrain signe une nouvelle réflexion sur l'Image à partir d'une personnalité. Ici, celle de Jackie Kennedy lors de l'assassinat de son mari à Dallas. Le tout pour un résultat fidèle à la problématique du cinéma de Larrain : Comment l'image d'une personnalité ( Jackie Kennedy et Pablo Neruda), d'une institution (l'Eglise dans le grisonnant " " ) ou d'une publicité (la campagne anti-Pinochet dans " " ) impacte dans le quotidien de chacune de ces entités ou dans celle du peuple ?

Encore une fois, Larrain livre un film déstabilisant issu de cette problématique, à l'anti-thèse du genre traditionnel (pour preuve, le film n'aura obtenu au final que trois nominations aux Oscars), nous laissant dans un état troublé. La caméra plongé au plus près de l'intime de l'ex-première dame des Etats-Unis, le film ne cesse jamais de s'interroger sur la fabrique de l'image par différents dispositifs. La première étant le point de départ : Une interview entre la Première Dame, marquée par un autre deuil, et un journaliste interprété par le trop peu-présent à l'écran Billy Crudup. Un jeu insaisissable s'instaure entre ces deux êtres, discutant continuellement sur la perception des êtres et de ce que l'on dégage autour de cette personnage.

De là s'ajoute un autre dispositif : Celui des flash-backs, ceux-ci interagissant avec l'entretien initial. Caméra au poing, sous la sublime photographie, on baigne dans l'intimité de l'héroïne : Dans sa solitude à affronter la mort, auquel elle a assisté ébahie, de son mari et à devoir faire face aux responsabilités de ses obsèques, dans ce double-jeu entre l'image qu'elle a vraiment et celle fabriquée par les médias tout juste naissants à cette époque (ahurissante reconstitution visuelle d'un document où la première dame fait visiter la Maison Blanche) et dans ses éternelles questions christiques sur la vie et la mort comme en témoigne ses discussions avec un prêtre aguerri (joué par le regretté John Hurt dans l'une de ses dernières apparitions). Pablo Larrain et le directeur de la photographie Stephane Fontaine questionnent aussi cette interrogation sur l'Image par l'image elle-même en s'infiltrant au plus près du personnage central, par l'utilisation massive de gros plans, et dans son psychisme confus appuyée par la sublime mais hantée bande-originale de Mica Levi, ayant une vibe très " " .

Un jeu aussi réflexif qu'éprouvant pour Natalie Portman, incroyable de nuances à tout instant, accompagnée d'un casting inégalable : Billy Crudup et John Hurt donc mais aussi Peter Sarsgaard en un Robert Kennedy tout aussi dépassé par les évènements ainsi que Greta Gerwig, fidèle bras droit de la première dame.

" " est un film à part entière de cette année. Ne s'inscrivant dans aucun genre cinématographique, le film de Pablo Larrain se marque plutôt comme un trip psychique sur l'être et le paraître.

Victor Van De Kadsye