Au début, on pense qu’on va avoir droit à une comédie de moeurs sarcastique et cinglante calibrée pour Steve Coogan. Son personnage, Paul, manifeste son mécontentement à l’idée d’assister au dîner de famille que son frère Stan (Richard Gere) et sa belle-soeur Katlyn (Rebecca Hall) ont organisé dans un luxueux restaurant gastronomique. Il préférerait rester chez lui à disserter sur la grandeur des civilisations antiques et au déclin de l’Empire Américain, sa grande passion. Surtout, il craint que leur fils unique ne profite de leur absence pour faire des bêtises avec sa nouvelle petite-amie. Son épouse Claire (Laura Linney) réussit toutefois à le traîner jusqu’au restaurant, un endroit un peu prétentieux et collet monté.
Très vite, dès l’apéritif, les piques assassines fusent, en direction des serveurs, de la nourriture servie et de son frère, qui, tout à sa campagne électorale, n’accorde au reste de l’assemblée qu’une attention très limitée. Les premiers échanges verbaux laissent à penser que les deux frères entretiennent une relation houleuse, liée à des problèmes remontant à l’enfance et à des complexes d’Oedipe non-résolus.
Comme le ton se fait plus acerbe, plus amer, on se dit que le film va évoluer vers un jeu de massacre façon Festen, et que de vieux secrets de famille vont refaire surface…
Mais brusquement, une scène vient faire basculer le récit, expliquant la vraie raison de ce dîner de famille. Elle implique les enfants des deux couples. Un soir, après une soirée un peu trop arrosée, Michael et ses cousins, Rick et Beau, déclenchent volontairement un incendie pour déloger une SDF de son abri de fortune. Quand cette dernière prend feu, non seulement ils ne font rien pour lui sauver la vie, mais ils filment la scène sur leurs téléphones mobiles dans le but de la diffuser sur les réseaux sociaux!
Là, plus de doute possible, on sait très bien vers quoi le film va évoluer, une opposition entre les deux couples concernant la conduite à tenir vis-à-vis de ce crime odieux. Faut-il dénoncer les adolescents pour qu’ils répondent de leur actes, par principe moral et par sens de la justice ? Ou faut-il au contraire ne rien dire et les protéger par devoir parental?
Les amateurs de littérature auront reconnu la trame du best-seller d’Herman Koch, “Le Dîner”, chapitré comme ce film, de l’apéritif jusqu’au dessert. Les amateurs de cinéma auront aussi reconnu la trame de Nos enfants, projeté à la Mostra de Venise en 2014 et librement adapté du roman de Koch.
La différence, c’est que le long-métrage d’Ivan de Matteo ne durait qu’1h30 alors que celui-ci s’étire péniblement sur près de deux heures. Le film italien s’intéressait surtout au dilemme moral de parents confrontés à la culpabilité de leurs enfants et à la difficulté de prendre la bonne décision. Ici, Oren Moverman y a greffé des considérations pseudo-philosophiques sur la guerre, la bataille de Gettysburg, l’éthique politique ainsi que de vieilles histoires de famille autour d’une mère atteinte de troubles mentaux graves… Le menu est riche, trop sans doute pour le grand écran. Les numéros d’acteurs, savoureux de prime abord, se transforment en de poussifs numéros de cabotinages qui finissent par lasser l’auditoire. Quant aux bonnes idées scénaristiques, elles sont tellement appuyées qu’elles finissent par devenir ridicules à l’image.
Il en va de ce dîner comme de ces repas interminables dans des restaurants gastronomiques prétentieux : beaucoup de cérémonial, de mise en scène grandiloquente et de gesticulations chichiteuses pour servir une soupe indigeste et écoeurante. On ne leur accordera pas une étoile, et on espère que les membres du jury de la Berlinale 2017 en feront autant…