On a beau se satisfaire de voir l'Hexagone riche d'une myriade d'auteurs singuliers qui œuvrent en boucle pour concevoir des propositions de cinéma fortes et stimulantes, il y a des exceptions qui, hélas, continuent de passer sous les radars sans qu'on comprenne pourquoi. Et au royaume des auteurs confidentiels, le tandem formé par Dominik Moll et Gilles Marchand (voire même chacun d'eux dans leur travail de réalisateur) ne serait certainement pas le moins bien placé au banquet. Alors que le très célèbre Harry un ami qui vous veut du bien est sur le point de fêter ses dix-huit bougies, on ne parvient toujours pas à saisir comment un succès pareil, acclamé par à peu près tout le monde et récompensé aux Césars, n'a pu rien engendrer de dévastateur par la suite. Entre un Lemming pourtant largement supérieur et deux propositions certes assez inégales ( Le Moine et Des nouvelles de la planète Mars), Moll semblait destiné à redevenir confidentiel. Même constat tragique pour son scénariste Gilles Marchand , qui continue lui aussi son petit bonhomme de chemin en tant que réalisateur avec des films qui font illusion auprès de la critique et restent des illusions pour le public. Et c'est peu dire que les deux hommes regorgent de points communs : un goût pour les atmosphères régies par une inquiétude à l'origine inconnue, une esthétique glacée qui interpelle par sa façon de styliser le réel sous un angle inédit, une intrigue à multiples niveaux de lecture où l'idéal consiste plus à s'égarer qu'à suivre les cailloux que l'on aurait laissé traîner.
On doit à ce jour à Gilles Marchand un thriller (pas si) hospitalier ( Qui a tué Bambi ?) et un second essai aussi ambitieux dans sa conception qu'injustement méprisé ( L'autre monde). Ce n'est pas avec Dans la forêt que le bonhomme va changer son fusil d'épaule, puisque toutes les caractéristiques énumérées plus haut retrouvent leur place attitrée. À la différence que le résultat, aussi formellement et narrativement abouti soit-il, laisse une légère et étrange sensation de ressassement. D'abord parce qu'on y retrouve plus ou moins le même pitch que celui du Retour d' Andrei Zviaguintsev, dans lequel le cinéaste russe de Leviathan filmait la révolte de deux enfants face à un père taciturne et mystérieux, le tout dans une nature sauvage à la dimension symbolique plus qu'évidente. Ensuite parce que ce cocktail maîtrisé de non-dits et d'incertitudes en cascade semble avoir lâché ses cartouches depuis déjà vingt ans - on peut même dire que des cinéastes comme Polanski ou Lynch ont plus ou moins épuisé la question avec leurs films respectifs. Enfin parce qu'exploiter la forêt comme catalyseur des peurs les plus souterraines de l'enfant, ça frise aujourd'hui la lapalissade - énumérer la liste des films similaires serait un peu trop long.
Pour autant, bien qu'il semble décliner une formule calibrée en oubliant d'y injecter de la nouveauté et d'exploiter son contexte géographique (en effet, le fait que l'action prenne place dans une forêt de Suède n'est ici qu'un détail sans importance), Gilles Marchand ne faillit en rien sur sa science exemplaire de la mise en scène et du montage. En raison d'un redoutable travail sur l'agencement sonore qui doit tout à la combinaison de bruitages inquiétants, l'angoisse ne cesse de croître d'un bout à l'autre de l'aventure, tout en entretenant le doute sur les véritables intentions du père ( Jérémie Elkaïm , habité et flippant comme jamais il ne l'avait été) et les perceptions réelles d'un des deux enfants (qui est cet homme au visage défiguré qui apparait souvent à l'écran ?). Peu à peu se dessine surtout une mise à l'épreuve, celle d'un enfant forcé d'affronter les angoisses qui le rongent - en particulier la figure d'un père qui révèle progressivement sa fragilité et son côté obscur. Apprivoiser cette face sombre du familier et en tirer une transcendance intérieure sera donc ici un enjeu autant qu'une expérience, le spectateur étant aussi visé que le protagoniste face à ce déchaînement de forces obscures. Même si, face à une fin plus " courant d'air " que " porte ouverte " (elle se veut ouverte et énigmatique, elle n'est hélas que prévisible et limpide), on regrettera que Marchand se soit un peu reposé sur ses lauriers. Son talent de filmeur est si grand qu'on aimerait le voir emprunter une voie plus ambitieuse. Peut-être la prochaine fois, si tant est que le public soit à l'avenir un peu plus réceptif à ses propositions de (pur) cinéma.
Titre Original: DANS LA FORÊT
Réalisé par: Gilles Marchand
Genre: Thriller
Sortie le: 15 février 2017