Maya

Par Platinoch @Platinoch

Un grand merci aux Documents cinématographiques pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le DVD du film « Maya » de Raymond Bernard.

« J’attends. Toi ou un autre. »

Maya, mot d’origine hindoue qui signifie « illusion » sert de trame au récit qui se déroule dans un quartier portuaire de prostituées.

Quand l'Albatros entre au port après des mois passés en mer, les marins ne rêvent que de trouver un peu de réconfort. Et de toutes les filles du port, Bella est de loin la plus belle et la plus convoitée.

Ainsi lorsque Bella pense trouver l’homme qui saura l’aimer pour ce qu’elle est, elle devra se résigner à lui donner l’illusion de vivre un rêve.

« Tu es sentimental comme moi je suis vierge »

Fils du célèbre dramaturge Tristan Bernard, Raymond Bernard nait un univers privilégié, baigné de culture, de littérature et de théâtre. Il débute lui-même une carrière d’acteur au milieu des années 1910, donnant notamment la réplique à la grande Sarah Bernhardt. Mais très vite, il délaisse les planches pour se consacrer à la toute jeune industrie cinématographique et s’oriente naturellement vers la réalisation. Faisant ses gammes derrière la caméra au temps du muet dans les années 20, il s’impose progressivement comme l’un des réalisateurs phares des années 30 en signant notamment coup sur coup « Les croix de bois » (1932) d’après Raymond Dorgelès et « Les misérables » (1934) d’après Hugo. Traqué, ainsi que toute sa famille, du fait de ses origines juives, il disparait des écrans durant la première moitié des années 40. De retour en 1946, il signe avec « Un ami viendra ce soir » un vibrant témoignage de ses années de cavale. En 1949, il revient avec l’ambitieux « Maya », adaptation d’une pièce créée en 1924 par Simon Gantillon, produit et interprété par Vivianne Romance, icône du cinéma français des années 30 et 40, qui trouve là l’un de ses plus fameux rôle.

« Marquise ou catin, quand il ne reste que la peau... »

« Maya ». Quatre lettres emplies de douceur et d’exotisme qui sonnent comme un prénom de femme. Comme une invitation au voyage. Pourtant, dès l’ouverture du film, un étrange marin asiatique nous met en garde. Dans sa langue natale, ce mot signifie à la fois « Amour » et « Illusion ». Un amalgame des plus pessimistes qui sonne là comme une amère déception. Pour les marins de passage, le voyage est avant tout une galère et la terre promise un port quelconque peuplé de bars à matelots et d’entraineuses qui arpentent les trottoirs. C’est là que vit Bella, la plus sensuelle et la plus convoitée de toutes les gagneuses du port. Une sorte de muse ou de madone dans les bras de laquelle les marins rêvent de trouver un bref moment de réconfort. Mais, encore une fois, tout cela n’est que chimère. Le port n’est qu’un phare dans la nuit. Un paradis perdu dans lequel les hommes se donnent l’illusion de retrouver un semblant de vie normal en noyant leurs souffrances dans l’alcool et dans les femmes. Pour autant, le récit - très fataliste - nous rappelle qu’on n’échappe pas à son destin. Et les marins en bout de course, harassés par leur condition ou consumé par la jalousie d’un amour impossible, y laisseront leur peau et leur âme. Bella elle-même n’est qu’une jolie silhouette sur laquelle les hommes projettent les souvenirs de leurs amours passés. Sa condition n’est ainsi qu’un paradoxe : elle peut être toutes les femmes du monde mais vit en permanence dans le renoncement d’elle-même. Elle a beau être la femme la plus désirée, elle n’est jamais aimée. Pour sûr, Raymond Bernard signe là un drame très sombre et un portrait assez pessimiste de la société. Même si, à l’évidence, il porte un regard bienveillant et empathique sur ces antihéros qui peuplent les bas-fonds du port. Surtout, il parvient à créer une atmosphère étrange, où le drame se retrouve mâtiné d’onirisme, conférant ainsi au film une ambiance particulière qui semble adoucir quelque peu la noirceur du propos. Le film vaut également pour l’élégance de sa mise en scène, son superbe noir et blanc, ainsi que pour son casting hétéroclite mais tout à fait prestigieux (Viviane Romance, Marcel Dalio, Fréhel, Louis Seigner, Georges Douking...). Un joli film entêtant comme un spleen planant, qui s’inscrit dans une longue tradition de drames portuaires et sociaux, à la fois crépusculaires et fatalistes, tels que « Pépé le Moko » ou « Quai des brumes ».

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Le DVD : Le film est présenté dans un nouveau master restauré en version originale française (2.0). Des sous-titres français et français pour malentendants sont également disponible.

Côté bonus, cette très belle édition comprend plusieurs interviews et documents d’archives dont « Italo Manzi sur la distribution de Maya », « Où est-il donc ? chanté par Fréhel », « Les P’tits Poulbots de Jack Pinoteau » et « Le Film qui vous a le plus marquée - extrait de l'entretien entre Louis le Roy et Viviane Romance, 1989 ».

Edité par Les Documents Cinématographiques, « Maya » est disponible en DVD depuis le 7 février 2017.

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