Le film s’ouvre sur une chute. Ou plutôt des chutes. Des chutes d’eau vertigineuse, prêtes à tout engouffrer. Il s’agit du site naturel d’Igazu, entre l’Argentine et le Brésil. C’est là qu’Orlando (Francisco Reyes) a prévu d’ emmener sa compagne Marina (Daniela Vega), à l’occasion de l’anniversaire de cette dernière. Mais il n’en aura pas l’occasion. Après avoir passé une agréable soirée en sa compagnie, il se réveille en pleine nuit, en proie à un violent mal de crâne. Et au moment de partir pour la clinique, c’est lui qui chute, victime d’un malaise qui lui sera fatal. Les médecins ne pourront que constater l’évidence. Orlando décède sur la table d’opération, des suites d’une rupture d’anévrisme.
Marina est dévastée, mais elle n’a pas le temps de laisser couler se larmes. La situation est délicate. Elle était la maîtresse du sexagénaire et n’est donc pas officiellement un membre de la famille. Du fait de leur différence d’âge et des conditions du décès, notamment la présence de nombreuses contusions et d’une plaie au niveau du crâne, consécutives à sa chute, la police préfère ouvrir une enquête. D’autant que le profil de Marina leur semble pour le moins énigmatique…
La mise en scène cultive cette ambiance mystérieuse. Le cinéaste chilien Sebastian Lelio filme les jours qui suivent le décès comme un thriller à suspense. Sa caméra reste toujours focalisée sur le personnage de Marina, observant ses relations heurtées avec l’inspectrice des moeurs chargée de l’enquête, avec l’épouse et le fils du défunt, qui essaie de la chasser de l’appartement où elle vivait avec Orlando et fait tout pour la tenir à l’écart des obsèques. Elle filme aussi quelques détails intrigants, comme cette clé que Marina a trouvé dans les affaires de son amant, et dont la jeune femme se demande ce qu’elle peut bien ouvrir.
Cette façon de coller au personnage, de manière presque obsessionnelle, rappelle un peu la façon avec laquelle Alfred Hitchcock suivait les pas de Kim Novak dans Sueurs froides. C’est assez logique, si l’on considère que les vertiges existentiels et les troubles identitaires sont bien au coeur de Una mujer fantastica.
Marina a bien un secret qu’elle tente de dissimuler, et on le découvrira peu à peu, au cours du récit, à travers le regard des autres personnages. Sebastian Lelio pourra alors abandonner cet enrobage factice de film noir pour se concentrer sur son véritable sujet : le combat d’une femme qui doit faire le deuil non seulement d’un être cher, mais aussi, à cause de l’agressivité des autres, d’une partie de son passé et de son identité. Marina essaie de rester digne et forte face à ceux qui la traitent comme une moins que rien, une prostituée, un simple objet de désir ou pire, un monstre de foire. Elle est tout le contraire : une femme qui s’assume pleinement et ne cherche qu’à vivre normalement, dans le respect et l’amour des autres. Un femme fantastique, en somme…
Grâce à la mise en scène pudique, toute en délicatesse, de Sebastian Lelio et à la performance de Daniela Vega, les spectateurs ne pourront qu’en être convaincus. On espère que le jury de la 67ème Berlinale sera lui aussi sensible aux qualités artistiques et humaines de ce beau film, assurément l’un des plus fascinants de ce cru 2017, et saura les récompenser comme il se doit…