THE DIRTIES : Quand la fiction dépasse la réalité ★★★★★

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Retour sur la projection Facebook live d’Outbuster de The Dirties, un film qui redonne ses lettres de noblesse au genre du found-footage.

Depuis la saga Paranormal Activity ou encore plus récemment avec le dernier Blair Witch, il était possible de penser que le found-footage était mort et enterré. Pourtant, avec The Dirties, ce n’est pas le cas puisque Matthew Johnson parvient à renouveler et à donner un nouveau propos au genre. Toutefois, avant d’aller plus loin sur cette critique, il me semble important de revenir sur le contexte particulier de sa projection. En effet, si certains d’entre vous ont eu l’occasion de le voir, le site Outbuster a eu la possibilité de diffuser en live sur Facebook mercredi dernier The Dirties en avant-première en France, le film étant déjà sorti en 2013 Outre-Atlantique. Cette première mondiale (même Netflix ne semble pas en avoir eu l’idée) est, d’après moi, une petite révolution dans l’histoire du cinéma, car, même si cela n’a pas été l’objectif premier d’Outbuster, la projection de ce film sur Facebook live questionne la place d’internet et des plate-formes de streaming (telles que Netflix, Hulu ou encore Amazon) dans la diffusion de films, qui n’auraient pas eu de distribution en salles. D’après moi, l’initiative d’Outbuster pourrait remettre sur le tapis la question du cinéma chez soi, notamment dans le cadre du e-cinema qui peine à s’imposer, et aussi de la gratuité du cinéma, étant donné que Facebook est une plateforme gratuite. Je souhaite par conséquent féliciter le créateur d’Outbuster ainsi que toute son équipe et ses collaborateurs pour cette initiative innovante.

The Dirties suit donc l’histoire d’Owen (Owen Williams) et de Matthew (Matthew Johnson), deux jeunes lycéens qui décident de faire un film sur les personnes qui les martyrisent et qu’ils surnomment « the dirties ». Il s’agit d’un film qui sait prendre des risques et des parti pris osés, et ce, dès ses premières minutes. En effet, Matthew Johnson décide dès le départ de donner des allures de documentaire au style found footage. Ainsi, ce ne sont pas nos héros qui prennent la caméra, comme dans un found footage classique, mais une personne extérieure dont on peut avoir du mal à comprendre sa place (un journaliste ? Un autre lycéen ? Un cinéaste ?). Néanmoins, ce personnage extérieur est crucial aussi bien pour la narration du métrage que pour les protagonistes principaux qui se racontent au travers de leur film d’étude. En effet, Matthew s’adressera à plusieurs reprises à ce troisième personnage, qui l’aidera par moment dans ses démarches. Ainsi, l’un des intérêts de The Dirties est sa capacité de se mettre en abyme en utilisant ce qui avait été filmé auparavant par cet être inconnu. Les quelques extraits musicaux, même s’ils peuvent sembler surprenants au premier abord, sont justifiés assez rapidement par cette mise en scène.

En réalité, le choix de mélanger le style found-footage et documentaire permet d’augmenter le flou entre fiction et réalité, caractéristique inhérente au genre. Par ailleurs, en ne donnant pas de signes distinctifs à ce personnage, Matthew Johnson amène à l’idée que ce troisième personnage équivaut au spectateur qui le suit, quelle que soit l’issue de son histoire. Ce flou entre réalité et fiction n’est pas sans rappeler le phénomène du Projet Blair Witch, qui avait joué fortement sur cette carte (leaks du film avant sa sortie, site, etc). Tout cela s’accompagne d’un jeu d’acteur excellent qui favorise l’immersion dans le film. Si l’on revient à à la question de la diffusion sur Facebook Live, il est possible de se rendre compte que ce mode de diffusion participe d’une certaine manière au « lore » du film car le côté à la fois found footage et documentaire n’est pas sans rappeler le style de certaines vidéos sur You Tube (vlog, live, etc.), pouvant augmenter dès lors le flou induit par The Dirties.

Toute cette mise en scène est au service de sa référence et thématique principale : le phénomène de tuerie de masse et plus particulièrement, celle de Columbine en 1999 dans l’état du Colorado.  Matthew Johnson, par le biais de son personnage éponyme et de ses costumes, fait souvent référence à Elephant de Gus Van Vant ou encore à Bowling for Columbine de Michael Moore. Toutefois, cette thématique, ainsi que celle du harcèlement scolaire (en toile de fond) n’est pas forcément centrale au tout début du film. Ici, l’objectif du réalisateur est en premier lieu de nous faire rire et de nous faire sentir proche de ces deux protagonistes qui essayent de donner, par le biais de leur court-métrage, un sens à leur souffrance. Ce n’est progressivement qu’une certaine dissonance entre les personnages se fera entendre, avec Owen qui tente de se connecter à ce monde lycéen qui l’a violemment rejeté par le biais de son crush Krissy, et avec Matthew qui se retire de plus en plus dans le monde qu’il a créé et au sein duquel il parvient à se donner de l’importance alors que ses camarades continuent à le rejeter.

Finalement, The Dirties raconte surtout l’histoire d’une vengeance d’un personnage (ici en l’occurrence Matthew) qui avait suscité jusqu’à présent affection et empathie. Cela constitue l’un des intérêts de du long-métrage : susciter de la compassion et de l’intérêt pour un personnage qui aurait été systématiquement détesté dans un autre film. C’est à partir de ce moment-là que l’ensemble prend toute sa dimension et que les références à Columbine et Elephant prennent tout leur sens. Ainsi, Matthew Johnson parvient, par le biais de sa mise en scène et de ses thématiques, à questionner les limites liées au rôle du troisième personnage qui continue toujours de filmer Matthew, malgré ses actions, sans pour autant exprimer de l’inquiétude ou de questionnement moral majeur. Au-delà des thématiques du harcèlement scolaire ou encore du phénomène de tueries de masse, The Dirties questionne le rapport du spectateur à la caméra et à son propre voyeurisme, dans une situation où les choses commencent à devenir irréversibles. Dans une société qui vit entourée de caméras et qui se raconte par l’image (selfies, vlog et autres), la réalité de The Dirties reste encore tangible (malgré sa sortie en 2013). Son propos reste très prégnant encore aujourd’hui, surtout que de nombreuses affaires graves (comme celles d’agressions raciales sur Facebook Live aux Etats-Unis) passent par le biais d’Internet et de ses plate-formes vidéos. Le fait qu’Outbuster programme ce film en live semble donner, à mon humble avis, une puissance plus importante aux messages sous-jacents du film.

The Dirties est ainsi un excellent film qui parvient habilement à mélanger le genre du found-footage et du documentaire tout en abordant des thématiques diverses et variées ramenant vers un unique but : donner un ensemble très perturbant qui questionne le lien du spectateur à la caméra et son rôle, dans cette société du XXIème siècle obnubilée par le spectaculaire, le voyeurisme et l’image.

Réalisé par Matthew Johnson, avec Owen Williams, Matthew Johnson, Krista Madison

Disponible sur Outbuster.