Batman v Superman (je vous épargne le titre complet parce que sinon ça va très vite être chiant) est un film de Zack Snyder sorti en mars 2016 en France. Très attendu car montrant pour la première fois à l'écran ces deux mythes de la pop culture dans un même film, il a déçu pas mal de monde. S'en est suivi un bashing assez violent autour du film que certains ont essayés de calmer. Mais le mal était déjà fait et moi, clairement, j'avais plus du tout envie de voir ce film car j'étais à peu près sûr d'être déçu aussi. Ça fait maintenant à peu près un an que tout ce bordel est passé et j'ai donc décidé avant-hier de voir enfin ce film, dans sa version " Extended Cut " car il semblerait qu'elle soit meilleure. Et donc oui, c'est plutôt raté. Mais je ne vais pas m'attarder sur les défauts qui ont déjà été cités dans beaucoup d'articles et de vidéos (incohérences, personnages anecdotiques, set-up pour la Jusitce League). Ce qui m'intéresse, c'est comment ce film s'est inspiré d'un de mes comics préféré de tous les temps, à savoir The Dark Knight Returns de Frank Miller, pour en faire n'importe quoi.
The Dark Knight Returns, c'est un peu le graal du fan de Batman (en tout cas pour moi). C'est une des vision les plus hard et les plus intéressantes que j'ai pu voir de l'homme chauve-souris. Mais c'est aussi un combat idéologique entre deux super-héros : Superman et Batman. Le film de Snyder s'inspire de plusieurs éléments du comics. D'abord de la dualité entre les deux héros. Ensuite du costume de Batman, plus massif, et de sa version " armure " que je trouve assez réussi dans cette version cinéma. Et enfin il essaye d'adapter, ou plutôt de greffer les thèmes du comics à son film. Et le problème avec les greffes, c'est que si c'est mal fait, ça donne quelque chose d'assez atroce (oui cette comparaison est de très mauvaise qualité, je m'en fiche).
Dans The Dark Knight Returns comme dans BvS, Superman est montré comme un Dieu. Il est iconifié par la mise-en-scène et ses actions montrent sa toute-puissante. Son pouvoir est illimité et incontrôlable. Comme le dis Bruce Wayne dans le comics de Miller : " Nobody can make you do anything you don't want to, Clark ". Ça c'était déjà assez clair mais ce que font ces œuvres, c'est essayer de montrer en quoi cela pose problème. Et c'est là que BvS se démarque du comics. Dans TDKR, le problème concernant Superman est qu'il met tout son pouvoir à la solde du gouvernement américain. Batman le voit donc comme un traître à leur cause et pense que mettre son pouvoir au service du gouvernement de cette façon fait de lui " une blague ". Car il abandonne ainsi sa propre volonté pour devenir l'outil d'une institution. Dans BvS le problème est qu'au contraire, Superman ne répond à aucune loi et aucune hiérarchie. Batman pense donc qu'il est un danger pour la société car il pourrait faire absolument n'importe quoi de ses pouvoirs sans demander la permission à personne. Se pose donc un premier problème sous forme d'une vision totalement opposée du personnage : le film de Zack Snyder voit Superman comme un problème pour une raison inverse de celle de Frank Miller. Snyder pense que les actions de Superman sont problématiques car il ne répond à personne, Miller pense que les actions de Superman sont problématiques car il répond au gouvernement. Pour un film qui se veut (plus ou moins) être une adaptation du comics, c'est quand même dommage d'avoir un propos inverse. Mais est-ce vraiment un problème ? Pas tant que ça, je pense. En réalité, Snyder a le droit de s'inspirer de l'oeuvre de Miller pour en tirer une vision différente. C'est le propre d'un auteur d'avoir une vision et de ne pas copier celle des autres. Donc au final, ce changement radical de perspective ne me pose pas tant problème que ça, je trouve même ça plutôt audacieux.
Parce que pour moi le vrai problème n'est pas là. Le problème est dans la façon dont les œuvres exposent leurs théories et comment Batman v Superman échoue la où The Dark Knight Returns réussissait. Dans TDKR, la théorie du " problème Superman " était portée par Frank Miller et par extension par le personnage principal de son comics : Batman. L'homme chauve-souris a un vrai problème avec Superman et c'est pour cela que le point de vue est crédible. On accepte de croire que la façon dont Superman utilise ses pouvoirs peut poser problème car c'est une théorie portée par la héros de l'oeuvre. Dans BvS c'est Lex Luthor qui pense que Superman pose problème. Batman, même s'il passe les 3/4 du film à vouloir stopper Superman, ne porte jamais réellement ce propos. S'il pense cela, c'est d'abord à cause des dégâts causés par Superman dans Man of Steel mais aussi et surtout à cause des manipulations de Lex Luthor visant à convaincre l'opinion publique que Superman est un problème. La preuve que Batman n'adhère pas complètement à cette théorie est qu'il se rend compte qu'il s'est trompé dans la fameuse scène de " Martha ". Il comprend qu'il a été conduit à penser qu'il fallait arrêter Superman mais qu'il est en fait seulement un homme, comme lui. Le propos selon lequel Superman est un problème s'en retrouve donc amoindri et n'est plus porté que par un seul personnage, celui de Lex Luthor.
Pour continuer mon explication, j'ai maintenant besoin de faire un parallèle entre Batman v Superman et The Dark Knight de Christopher Nolan. The Dark Knight est la preuve que le propos d'un film peut être porté par le bad guy. Le propos de ce dernier étant : tous les hommes peuvent devenir mauvais, même ceux qui semblent les plus bons. C'est ce que prouve le Joker en utilisant Harvey Dent. Alors pourquoi Lex Luthor ne peut-il pas porter à lui tout seul le propos du film ? Il pourrait très bien mais rien n'est fait en sorte pour que ce soit le cas. Luthor et le Joker ont tous les deux quelque chose à prouver et pour cela ils fonctionnent d'une manière similaire à beaucoup de bad guys : la manipulation. Mais la différence qui fait que le Joker réussi à nous faire croire en sa thèse là où Luthor échoue, c'est que sa manipulation à un résultat concret : il réussit réellement à faire d'Harvey Dent un homme mauvais. Alors que les manipulations de Luhtor veulent faire changer l'opinion en se basant sur des mensonges (Superman a brulé des gens en Afrique, Superman a fait exploser le capitole). Le Joker révèle une vérité. Lex Luthor fausse la vérité. Si on rajoute à ça le fait que le plan de Luhtor n'arrive jamais à ses fins (parce que c'est bien de la m#@%e) et que Heath Ledger joue beaucoup mieux que Jesse Eisenberg (comment ça ça n'a rien à voir ?) le personnage perd toute crédibilité et sa thèse avec.
Mais alors pourquoi ? Pourquoi tous ces efforts pour nous faire comprendre que Superman pose problème pour ensuite invalider complètement cette thèse ? Parce que le film pose une question et donne aussi la réponse. On nous montre d'abord que Superman pourrait poser problème pour ensuite nous dire que c'est faux. Et c'est ce qui en fait (entre autres raisons) un mauvais film et une mauvaise adaptation.
D'abord c'est une mauvaise adaptation car là où The Dark Knight Returns nous disait que Superman peut poser problème à cause de ses pouvoirs illimités, le film nous dit qu'au final ce n'est pas grave car c'est un être humain comme les autres. Donc à la place d'une oeuvre comme celle de Miller qui nous mettait en garde sur le fait de donner trop de pouvoir à un seul individu, Batman v Superman opte pour le propos opposé qui est de dire que ça n'est pas un vrai problème car les êtres humains sont tous bons. De un c'est assez bête et réducteur et de deux ça ne rend absolument pas justice à l'intelligence de l'oeuvre de Miller.
Ensuite c'est un mauvais film car une oeuvre qui donne la réponse à sa propre question n'a aucun intérêt. Je pense qu'une oeuvre est censée nous questionner sur le monde, sur nous-mêmes. En nous disant pourquoi le problème qu'il expose n'en est pas réellement un, le film se ferme sur lui-même et ne laisse aucune ouverture à la réflexion. Je pense qu'une bonne oeuvre est censée nous offrir un point de vue, celui d'un auteur. Libre ensuite au spectateur d'en tirer ses propres idées et de créer de cette façon sa propre version de l'oeuvre, celle qu'il construit en confrontant son point de vue à celui de l'auteur. Quand un film nous expose un problème pour ensuite nous dire : en fait c'est pas grave parce qu'on a déjà la solution du problème, il ne laisse aucun champ de création au spectateur.
Vous vous dites peut-être que j'en fais trop pour ce qui est seulement censé être un blockbuster de divertissement mais c'est faux. Premièrement car faire un blockbuster intelligent, c'est possible. Et deuxièmement car quand on essaye d'adapter The Dark Knight Returns de Frank Miller, proposer quelque chose d'aussi infidèle à l'oeuvre originale est indécent.