Jouissif et malin, le nouveau film estampillé Lego rend un bel hommage au Chevalier Noir.
Il y a maintenant trois ans, La Grande aventure Lego avait surpris son monde en évitant de tomber dans le piège de la commande opportuniste et cynique que tout le monde craignait. A l’inverse, le film de Phil Lord et Chris Miller s’est instantanément propulsé en objet pop culte, bourré d’idées et rendant hommage à une imagination débridée tels que les enfants peuvent l’illustrer. Cette approche, à vrai dire la plus belle que la marque pouvait espérer, en venait même à développer en son sein une subversion inattendue sur les restrictions de l’imaginaire par le système (notamment hollywoodien). Une réflexion que nous avons nous-mêmes étudiée, et qui était l’occasion d’un crossover jouissif avec les diverses licences que Lego possède. Ainsi, le partenariat entre Warner (le distributeur du film) et DC Comics avait permis aux deux cinéastes de mettre en avant leur version de Batman, transformé en parodie assez savoureuse, entre l’adolescent en pleine crise et l’icône vantarde. Dès lors, rien d’étonnant à ce que le studio annonce un spin-off sur le personnage, quand bien même la démarche pouvait à elle seule entrer en contradiction avec le propos anti-système de son grand frère, en choisissant le moule des franchises à rallonge.
Fort heureusement, Lego Batman assume dès le départ de ne pas avoir la même ambition que son aîné, ainsi que ses multiples niveaux de lecture. Il en garde néanmoins sa frénésie et son sens de la parodie, plus subtile qu’à l’accoutumé grâce à l’apport de la marque, qui emploie toujours un recul enfantin sur des clichés de narration utilisés comme dans un jeu. C’est alors que l’on se rend compte que la licence Lego (qui vient d’ailleurs d’annoncer un prochain long-métrage Ninjago), quitte à perdre le génie de sa pierre angulaire, pourrait au moins avoir pour elle de devenir le nouvel étendard d’une culture pop amoureuse et respectueuse de ses mythologies, tout en sachant rire d’elle-même. Car Lego Batman aurait simplement pu être un spin-off feignant recyclant ad nauseum les blagues de La Grande aventure Lego sur l’égocentrisme du héros de Gotham. A l’inverse, il part de ce postulat pour retracer les multiples vies de ce personnage qui peuvent justifier ce comportement. Ainsi, en démarrant sur les chapeaux de roue avec un premier quart d’heure absolument génial où le Dark Knight contre une nouvelle fois un plan diabolique du Joker (dont le film ne se remettra pas totalement d’ailleurs, le climax n’atteignant pas le même brio), on se retrouve face à une belle quintessence de ce que représente Batman, soutenue par un ratio de vannes démentiel qui se moque volontiers de chaque code qui sous-tend ses aventures. Mais le métrage a la bonne idée de jouer d’abord avec une façade de l’homme chauve-souris, pour mieux ensuite approfondir ses spécificités qui en font une icône aussi immortelle.
Riant autant de la série bariolée des années 60 que du ton sombre apporté par Frank Miller et Christopher Nolan, Lego Batman embrasse tous les pans d’une mythologie parfois contradictoire, qu’il manie avec une malice et un sens de la référence aigu, oblitérant complètement le spectateur non-fan avec un plaisir communicatif. Il profite ensuite de ce réceptacle pour des situations joyeusement loufoques, où le film s’amuse du quotidien forcément décevant du super-héros (Batman qui dîne seul dans la Bat-Cave ou qui se trompe de canal HDMI pour regarder une comédie romantique) pour toucher à son essence, cette douleur jamais pansée qui le rend autant attachant, cette volonté de justice qui ne peut être qu’insatisfaite. Et quand bien même le réalisateur Chris McKay, ancien de Robot Chicken et superviseur de l’animation sur La Grande aventure Lego, appuie de façon peu subtile le besoin du personnage de se rattacher à une famille à travers ses mythiques alliés, Robin et Bat-Girl en tête, il montre à merveille à quel point Batman est le meilleur représentant de la névrose des super-héros, condamnés par les codes des médias qui les exploitent (les comics en premier lieu) à être des Sisyphe poussant éternellement leur fardeau.
Alors certes, le rythme du métrage est moins soutenu que celui de La Grande aventure, et l’ensemble s’avère moins brillant que son grand frère, mais Lego Batman réjouit par son alchimie entre son humour référentiel et des instants plus touchants mis sur un pied d’égalité, qui révèle avant tout la sincérité de la démarche et la dévotion totale de ses créateurs envers le Caped Crusader (une prouesse d’autant plus bluffante quand on sait que le film est en partie produit par les exécutifs derrière l’actuel DC Universe). Il met même en valeur la puissance de son mythe par l’enjeu du récit, dépeignant un Joker vexé que Batman ne le reconnaisse pas comme sa Némésis, et qui va donc engendrer un joyeux bazar pour lui prouver, quitte pour cela à anéantir Gotham City. Là encore, la marque Lego souligne le fait que la célèbre ville est un terrain de jeu, une bulle fictive reconstructible à l’envie, qui n’a pour seule menace que d’être dénaturée lorsqu’elle est purgée de son bestiaire. Car Batman est également le super-héros qui possède les méchants les plus passionnants, et objectivement les plus connus dans le monde des comics. La narration allant jusqu’à le faire s’allier avec eux dans le dernier acte, elle montre que la popularité du Chevalier Noir tient aussi à ce qui l’entoure, à la richesse d’un univers sans lequel il n’est rien. Gotham est alors plus qu’un simple décor, cette fois imaginé en petites briques. Elle est l’outil nous permettant de pénétrer dans le monde de Batman, et qui devient stérile si on l’ampute de sa criminalité, et donc du héros censé l’endiguer. Pour une marque comme Lego, il est de bon ton qu’elle permette de recoller les morceaux d’une telle icône, tout en lui rendant un hommage aussi flamboyant.
Réalisé par Chris McKay, avec les voix (en VO) de Will Arnett, Zack Galifianakis, Michael Cera, Ralph Fiennes…
Sortie le 8 février 2017.