Khaled ne cherche pas à vivre dans la clandestinité. Il n’est pas un criminel, juste un réfugié ayant fui un pays en guerre, et il compte bien faire une demande d’asile politique en bonne et due forme. Alors il se rend de lui même au poste de police, afin de régulariser au plus vite sa situation. Parlant un anglais impeccable, il explique honnêtement sa démarche à ses interlocuteurs, précisant qu’il compte vite trouver du travail et apprendre le finnois pour que son intégration se déroule le mieux possible. Par ailleurs, il n’est affilié à aucun des camps belligérants et ne croit plus à la religion. Un migrant modèle en somme, qui ne devrait pas poser de problème…
Pourtant, l’accueil des finlandais n’est pas franchement à la hauteur du respect affiché par le demandeur. On le toise, on le traite avec dédain. Le processus de son transfert vers un centre de rétention ressemble à s’y méprendre à celui de l’incarcération d’un scélérat lambda. On l’interroge encore et encore, évalue son profil psychologique, tout ça pour, in fine, décider de rejeter sa demande d’asile, le juge estimant qu’hormis les deux-trois escarmouches entre rebelles et forces loyalistes, il est tout à fait possible de vivre sereinement en Syrie. Sans doute le magistrat n’a-t-il pas la télévision, puisqu’au même moment, les actualités montrent une ville d’Alep en ruines, et des habitants meurtris dans leur chair et dans leur âme…
Pourtant, pour demander l’asile politique à la Finlande, il faut vraiment être désespéré. Qui aurait envie de quitter un climat chaud pour se retrouver dans cette grisaille? Qui aurait envie de quitter ses proches, ses amis, pour se retrouver entouré de poivrots ou de skinheads nazillons crachant leur haine contre les “Juifs”, c’est-à-dire, pour ces abrutis, tous ceux qui sont d’une couleur de peau ou d’une religion différente de la leur?
Pour les finlandais, la vie n’est pas rose non plus. La morosité gagne toutes les strates de la société. Les individus essaient de garder tant bien que mal leur emploi, malgré une crise qui n’en finit plus, conséquence d’une économie désormais globalisée et dérégulée.
Wikström, VRP pour une marque de vêtements pour hommes, a remarqué que les affaires marchaient moins bien depuis quelques temps et il a dressé le même constat d’échec pour son couple, puisqu’il ne communique plus du tout avec son épouse, qui boit du matin au soir. Alors, il décide de tout plaquer sur un coup de tête. Il quitte le domicile conjugal, vend tout son stock de vêtements et joue la somme obtenue au poker. La chance sourit aux audacieux. Il gagne un pécule suffisant pour réaliser son rêve, devenir gérant d’un restaurant. Cela tombe bien, “La Choppe écarlate”, une gargote dans les bas-fonds d’Helsinki, est à céder pour une bouchée de pain, son gérant ne pouvant plus payer les salaires des employés ou remettre l’endroit aux normes d’hygiène et de sécurité.
Wikström se lance dans l’aventure, flanqué des trois anciens employés, une équipe de bras cassés flamboyants. Ensemble, ils vont essayer de trouver une solution pour tenter de transformer l’établissement et d’attirer une nouvelle clientèle. On n’en dira pas plus, mais la Cuisine du Monde façon finlandaise est la garantie de délicieux moments de comédie qui mettent du baume au coeur en ces temps troublés.
L’Autre côté de l’espoir évoque un peu Au loin s’en vont les nuages, l’un des sommets de l’oeuvre de Kaurismäki, dans laquelle les protagonistes se serraient les coudes pour faire face à l’adversité. C’est la même chose ici, mais dans un contexte plus globalisé. Le patron du restaurant, ses employés et les migrants font front commun pour affronter les difficultés du quotidien et cultiver l’espoir d’un avenir meilleur, d’un monde meilleur. Ce n’est sans doute pas le meilleur film du cinéaste finlandais, mais cela reste du cinéma efficace, généreux et humaniste, et on ne peut qu’apprécier l’énergie que met Kaurismäki à combattre la bêtise et les inégalités, avec humour et beaucoup de tendresse.