Beuys était plus qu’un simple peintre ou sculpteur. Il était à la fois le créateur, l’interprète, la matière principale de ses dispositifs et il faisait de sa propre vie un spectacle, un show destiné à en mettre plein la vue aux spectateurs pour mieux les intriguer et les provoquer.
Par exemple, lorsque, invité à produire des oeuvres au Musée Guggenheim de New York, il n’a accepté qu’à condition de ne pas fouler le sol américain, pour manifester son opposition à la Guerre du Vietnam. Il a fait le trajet de l’aéroport jusqu’au musée en ambulance, sur une civière, sans jamais poser le pied par terre. Puis, dans le musée, il a livré une performance intrigante, intitulée “I like America, America likes me”, dans laquelle il se retrouve face-à-face avec un coyote, symbole, pour lui, des peuples indiens spoliés par l’homme blanc.
Andres Veiel s’attarde aussi sur le militantisme de Beuys, activiste radical de gauche, écologiste convaincu, et sur la carrière politique qu’il aurait pu accomplir, si sa notoriété et son côté iconoclaste n’avaient pas agacé ses camarades verts. Là encore, c’est par son art total qu’il a su défendre ses convictions, comme avec son oeuvre “7000 chênes”, un assemblage de 7000 blocs de pierres pointant vers un chêne majestueux. Le concept était de réaliser une oeuvre écologiste sur une longue période de temps, en déplaçant chaque bloc un à un et en plantant un chêne à l’endroit de destination de la pierre.
Ce documentaire s’avère assez intéressant, surtout pour qui n’a jamais entendu parler de cet artiste allemand, contemporain d’Andy Warhol. Il séduit aussi par son travail sur l’image, avec ces effets de split-screens, ses surimpressions, ses fondus audacieux. C’est de la belle ouvrage. Cependant, on peut s’interroger sur la présence de ce pur documentaire au milieu d’une compétition de longs-métrages de fiction. Il est trop différent, trop isolé pour être comparé de façon équitable avec les autres films. Il est vrai que l’an passé, un documentaire avait remporté l’Ours d’Or, mais Fuocoamare était conçu quasiment comme une fiction, en tout cas comme un objet poétique, porté par de vrais partis pris de mise en scène. Ce n’est pas le cas pour Beuys, qui n’est qu’un modeste travail de montage d’archives. Il aurait plus gagné à être présenté hors compétition ou dans la section Panorama. A moins, évidemment, qu’il remporte à son tour un prix important au palmarès…