– Ah? C’est de Martin Provost? Vu le navet, je pensais que c’était de Franck Provost, le coiffeur…”
Bien qu’un peu capilotracté, ce fut l’un des bons mots du jour, entendu à la Berlinale à l’issue de la projection de Sage Femme. Parce qu’il ne faut pas croire qu’on ne s’amuse pas à la Berlinale, hein… On se bidonne même franchement, quand le Cinéma Français, fleuron de notre rayonnement culturel à l’étranger, ne trouve rien de mieux à offrir à un festival de ce rang qu’une oeuvre au scénario bâclé, aux répliques ridicules, déclamées par des acteurs et actrices en roue libre, qui cabotinent à qui mieux mieux.
Pourtant, la première scène laissait augurer le meilleur. On commençait à s’attacher au personnage de Claire (Catherine Frot), sage-femme dans une clinique de banlieue sur le point de fermer ses portes car jugée non-rentable, et on s’imaginait déjà la suite, un film engagé sur le système de santé hexagonal, le combat d’une femme pour que sa profession, souvent galvaudée, soit reconnue comme l’égale des médecins.
Mais non, pas du tout… Le récit bascule dans le mauvais mélodrame et la psychologie de bazar au bout de cinq minutes. (Aïe)
Claire reçoit un appel de l’ancienne amie de son père, Béatrice (Catherine Deneuve), qui, de retour à Paris après des années d’errance et d’oisiveté, cherche à renouer le contact avec ceux qui ont le plus compté pour elle, c’est-à-dire Claire et son père. Pas de bol, ce dernier s’est suicidé quand Béatrice l’a quitté, quarante ans plus tôt et c’est Claire, adolescente à l’époque, qui avait trouvé le corps… Autant dire qu’elle en garde une certaine rancoeur et logiquement, le film devrait s’arrêter là, car une personne normale aurait du mal à trouver les ressources pour pardonner ce genre de chose. Mais voilà, Béatrice est atteinte d’une tumeur au cerveau et n’en a probablement que pour quelques mois à vivre, alors, humainement, Claire ne peut pas l’abandonner à son triste sort. (Préparez les mouchoirs…)
Par ailleurs, Claire se dit qu’elle pourrait bien avoir besoin des conseils de cette “mère de substitution” alors que sa vie a pris un tour inattendu. En effet, elle vient d’apprendre qu’elle va devenir grand-mère et elle a peut-être trouvé l’amour en la personne de son voisin de potager, Paul (Olivier Gourmet).(Oui, hein, c’est chargé niveau mélo…)
Vu les talents en présence, on aurait pu accepter de se laisser embarquer malgré tout dans ce récit improbable. Mais pour cela, il aurait au moins fallu que les personnages soient crédibles un minimum. Ce n’est pas le cas, hélas… Dès le début, on a du mal à s’attacher au personnage de Béatrice, sorte de caricature de bourgeoise-bohème poussée à l’extrême, qui se prend l’apéro au saut du lit – cacahuètes et whisky, en peignoir bariolé – ne se nourrit que d’oeufs-mayo, et de steak-frites, plus un petit verre de rouge de derrière les fagots, fume comme un pompier et joue ses bijoux dans les tripots clandestins… On peine aussi à apprécier Claire, psycho-rigide à l’extrême, qui ne boit pas, ne fume pas, ne drague pas, ne vit que pour son travail, et Paul, le routier trop sympa, qui mange du caviar à la cuillère, parce que vous comprenez, ce n’est pas parce qu’on fait un métier de prolétaire qu’on ne sait pas apprécier ce qui est bon (sic)…
Les situations dans lesquels ils sont placés, embarrassantes, et les répliques, taillées à la hache ou puisées dans l’almanach Vermot, n’arrangent rien.
Un exemple ? : “- C’est joli, Mantes-la-Jolie? / – Je ne sais pas, moi je suis de Plaisir…”. (Waouh…).
Alors les acteurs se sentent obligés de cabotiner ad nauseam pour combler le vide et c’est pire que tout. On en veut vraiment à Martin Provost d’avoir réussi à faire jouer faux des interprètes du niveau de Catherine Deneuve et Catherine Frot, et de les compromettre dans des scènes d’un ridicule assumé. Est-ce vraiment le même cinéaste qui avait Séraphine et offert un rôle magnifique à Yolande Moreau?
Franchement, il n’y a pas grand chose à sauver. Et sûrement pas la morale délivrée par la dernière scène du film, aussi grotesque que le reste. En gros, l’argent, ce n’est pas bien (ou alors, si, pour le dépenser allègrement, comme Béatrice), la modernité, c’est le mal absolu et c’était mieux avant… On comprend mieux, alors, la démarche de Martin Provost. Si ses protagonistes sentent le rance et la naphtaline, si les dialogues semblent téléphonés, si les péripéties semblent écrites avec de grosses ficelle, c’est qu’ils appartiennent à un cinéma du passé, celui qu’on faisait en France dans les années 1950, avant que ces voyous de la Nouvelle Vague ne viennent tout révolutionner. A l’époque, personne ne se formalisait si des acteurs reconnus se lançaient dans des numéros de cabotinage éhonté, personne ne pestait contre des répliques lourdingues et les histoires stéréotypées. Personne n’aurait eu l’idée de suggérer au cinéaste que, peut-être, l’idée de faire conduire un poids lourd au personnage de Béatrice, alors qu’elle est atteinte d’une tumeur cérébrale, n’était pas une bonne idée. Ah! C’était le bon temps!
A l’époque, les gens écoutaient Regianni, Ferré et Ferrat, mais pas Barbara (Trop chic, restons populaires. ..). Ils buvaient du pinard à volonté, comme les personnages du film, qui semblent bien portés sur la dive bouteille, et probablement comme Martin Provost, qui devait être bien imbibé au moment d’écrire son script…
C’est peut-être là la seule solution pour apprécier la projection de Sage Femme, picoler jusqu’à être bourré comme un coing, et regarder le film comme une de ces vieilles comédies burlesques dans lesquelles Louis de Funès pouvait cabotiner à loisir. D’ailleurs, on devrait apporter une caisse de Bourgogne à Martin Provost et lui souffler l’idée d’une série de suites, histoire de rentabiliser le potentiel du scénario original. A quand “la Sage Femme à New York” ou “la Sage Femme et les extra-terrestres”?