[Berlinale 2017] “Joaquim” de Marcelo Gomes

Joaquim aff portSur le fond comme sur la forme, Joaquim, le nouveau long-métrage de Marcelo Gomes, ressemble beaucoup aux Chants de Mandrin  de Rabah Ameur-Zaïmeche. Il s’agit d’un film historique minimaliste, tourné pour l’essentiel en décors naturels, une oeuvre ancrée dans un contexte d’époque, mais dont le message politique, prônant la révolte contre les nantis, les parasites qui profitent du système sur le dos des plus démunis, trouve évidemment écho dans nos sociétés contemporaines et invite le spectateur à réfléchir sur le monde qui l’entoure.

Le premier plan est sublime et terrifiant. Sous une pluie battante, la caméra filme l’entrée de l’église de Vila Rica, aux portes de la jungle amazonienne. Devant, au centre de la place du village, est exposée une tête tranchée. Celle de Joaquim José da Silva Xavier, le personnage principal du film. En voix-off, l’homme explique qu’il a été reconnu coupable de trahison et de complot contre la Reine Maria 1ère du Portugal, et qu’il a été décapité pour l’exemple, et démembré, les morceaux de son corps ayant été dispersés le long du Caminho Novo. Il précise qu’il a été le seul, parmi les conspirateurs, à avoir été traité de la sorte, sans doute parce qu’il était le plus pauvre.
Sa mort a fait de lui un martyr, un héros national dont on honore encore la mémoire au Portugal.

Marcelo Gomes s’intéresse à son histoire et aux raisons qui l’ont conduit à se révolter contre la Couronne. Car au départ, Joaquim était un soldat zélé au service de la reine, traquant les voleurs d’or, les contrebandiers, et dénonçant la corruption. Il entendait donc être promu, afin de gagner une solde plus importante qui lui aurait permis de rendre sa liberté à la femme qu’il aimait, Blackie, esclave d’un notable local.
Hélas pour lui, les autorités ont préféré privilégier son collègue, un abruti, fainéant et corruptible, mais mieux placé sur l’échelle sociale. Joaquim, de son côté, a été envoyé effectuer de basses besognes, partir à la recherche de nouveaux filons d’or et de pierres précieuses dans les terres inexplorées. Et là encore, sa ténacité n’a pas été récompensée à sa juste valeur.
Il a donc décidé de se ranger aux idées de certains intellectuels et religieux, décider à faire du Brésil une terre indépendante, comme les pays d’Amérique du Nord. Et cette rébellion l’a mené à sa perte.

Mais sa vie aurait-elle été meilleure si les comploteurs avaient réussi leur coup d’état? Rien n’est moins sûr… Joaquim parle des états du nord américain comme des modèles de liberté, de démocratie et de justice. Quand il promeut ses idées, il défend ces peuples cultivés, éclairés, qui ne connaissent ni la haine, ni les armes, et qui n’auraient jamais idée d’aller asservir d’autres peuples… De quoi prêter à sourire quand on connaît l’histoire des Etats-Unis et la situation du pays aujourd’hui…

Cela dit, c’est plutôt la société brésilienne qui est dans la ligne de mire de Marcelo Gomes. Tout est dit dans la dernière scène du film, qui montre Joaquim attablé avec les autres membres du complot contre la reine, juste avant leur arrestation. Ces marchands bourgeois, prêtres, poètes et intellectuels le regardent manger avec un certain dédain, comme s’il était inférieur à eux. On comprend alors que, quelque soit le système politique, quelque soit les personnes au pouvoir, ce sont toujours des personnes bien nées, issues de milieux favorisés, et ce sont toujours les mêmes qui subissent la haine, le mépris, les injustices. Mais l’esprit révolutionnaire, lui, ne meurt pas. Il faut le préserver pour, de temps à autres, dénoncer les dérives du pouvoir, faire chuter des régimes corrompus et se débarrasser des petits potentats et des faux prophètes qui abusent de la crédibilité des peuples.

Voilà du cinéma minimaliste, formellement assez austère, mais qui réussit à faire passer efficacement ses messages politiques et humanistes. La Berlinale, festival de cinéma réputé pour mettre en valeur le cinéma Art & Essai radical, ne pouvait constituer un meilleur écrin pour Joaquim.