[Berlinale 2017] “Colo” de Teresa Villaverde

Par Boustoune

Ce qui saute aux yeux dans la première scène du film de Teresa Villaverde, c’est l’arrière-plan, une rangée d’arbres qui se poursuit avec les tours d’une cité résidentielle. Comme si on assistait, spectateurs impuissants, à cette mutation, à la nature qui s’efface pour laisser place à la “civilisation”. Mais cette transformation, dans la logique des choses, n’est pas forcément un progrès. Comme le confirmeront les scènes suivantes, la cité  n’a rien d’un lieu de vie paradisiaque. La cinéaste portugaise la filme comme un désert de béton, de métal et de verre, hanté par quelques individus solitaires, presque des fantômes, déjà morts, sans le savoir. Même filmées en plan large, ces tours donnent une sensation d’enfermement, d’étouffement, comme celles que Bertrand Blier avait filmées dans Buffet froid, à la fin des années 1970. Presque cinquante ans plus tard, les choses ne se sont pas arrangées. La crise économique est passée par là. Les horizons sont bouchés. Même en montant sur le toit de la tour, on ne voit que du béton ou un ciel gris et froid, déprimant, sans oublier les déchets que des gamins ont laissé derrière eux, des emballages de burgers américains, symboliques du capitalisme sauvage qui ravage les sociétés occidentales.

Nous sommes ensuite attirés par le visage de l’adolescente  en train de pleurer sous l’un des arbres. Nous ne le savons pas encore, mais Marta aussi a entamé sa mutation. Et elle a plutôt envie de faire le chemin inverse, quitter ces tours sordides et cet univers qui ne tourne plus vraiment rond ces derniers temps. Elle n’est pas la seule à chercher à s’échapper de ce cadre étouffant. Son père, chômeur de longue durée, peine à trouver sa place dans la société, mais aussi dans la structure familiale. Il semble de plus en plus paranoïaque, fébrile à l’idée que sa femme puisse le quitter. De son côté, celle-ci souffre en silence, lassée de devoir assumer seule toute l’économie du foyer, cumulant les emplois et les heures supplémentaires. Surtout que cela ne fonctionne plus vraiment. Dans quelques jours, l’électricité sera coupée et il faut encore payer la carte de bus de Marta, les courses, les extras… Englués dans les problèmes du quotidiens, les personnages ne communiquent plus vraiment. Ils se parlent un peu, mais ne s’écoutent plus. Leur foyer risque de s’embraser à tout moment.

Pourtant, ces personnages ne se complaisent pas dans leur malheur. Ils sont déjà en train de chercher des moyens de fuir, de changer de vie ou de se transformer eux-mêmes pour s’adapter à leur cadre de vie et ne pas finir comme leur canari, littéralement mort d’ennui dans sa cage. Marta cherche son salut dans la vie nocturne, dans la musique, les fêtes entre amis. Son père est tenté par des actes plus crapuleux, puisque trouver un travail honnête ne semble plus possible dans cette ville, mais il n’a probablement pas l’étoffe d’un truand. La mère, quand à elle, semble la seule à tenir encore le choc, mais on se demande si elle n’a pas trouvé un amant plus fortuné, qui l’extirpera de sa condition…
L’irruption de Julia, une camarade de classe de Marta, va ouvrir de nouvelles perspectives et offrir des possibilités de changement assez curieuses, parfois radicales, ou moralement douteuses, mais qui permettront peut-être à chacun de retrouver sa liberté, ou du moins une certaine confiance en l’avenir.

Colo est avant tout un film d’ambiance. Teresa Villaverde capte l’air du temps, observe ses personnages comme une entomologiste ou une naturaliste. Elle dresse le portrait d’une société malade qui doit réagir si elle ne veut pas sombrer définitivement. Le monde change, pas forcément en bien, mais il est toujours possible de construire avec l’existant, d’emprunter d’autres voies, d’autres chemins, de revenir à plus de simplicité.  Surtout, il faut continuer à rêver à un avenir meilleur. C’est peut-être là le sens de la scène finale, sublime. Marta s’enferme dans la cabane de pêcheur où elle a élu domicile et s’endort paisiblement. La caméra filme alors la cabane dans la nuit, avec un mouvement de va et vient, comme une respiration. Et on a l’impression d’un visage en train de dormir – et de rêver…

Inutile de préciser que Colo, avec sa durée, son rythme contemplatif, ses ellipses et ses étrangetés, constitue une épreuve même pour les cinéphiles les plus exigeants, comme les films précédents de la cinéaste. Mais il s’agit assurément, pour nous, de l’un des meilleurs films de cette 67ème Berlinale. Il n’est en revanche as certain que le cinéma radical de Teresa Villaverde fasse l’unanimité au sein du jury de Paul Verhoeven…