Un thriller psychologique débridé, porté à incandescence par son acteur vedette.
Fort d’une filmographie qui échappe décidément à tout pronostic, M. Night Shyamalan renoue avec sa veine la plus sombre et cérébrale en mettant en scène Split, dans le sillage de ses premiers films, Sixième Sens et Incassable. De l’avis général, le cinéaste se serait égaré en chemin, après s’être aventuré du côté du blockbuster familial avec Le Dernier Maître de l’Air et After Earth. En réalité, ce qui apparaît aujourd’hui comme une évidence est la rigueur exemplaire d’une oeuvre tournée vers l’exploration de nouveaux horizons. Que Shyamalan ait investi l’épouvante, l’heroic fantasy ou la science-fiction, il a toujours su reconduire ses motifs et ses thèmes fétiches sans craindre la répétition. Animé plus que jamais par le goût du risque, comme pouvait déjà en témoigner The Visit, il décline une fois encore et avec brio ses obsessions dans Split, soit l’histoire de Kevin, un homme doté de vingt-trois personnalités, qui enlève et séquestre trois lycéennes afin de les soumettre à un rite sinistre, censé coïncider avec l’émergence d’une vingt-quatrième personnalité redoutée et redoutable.
Comme à son habitude, le réalisateur part d’un postulat immédiatement accrocheur, sorte de réservoir à mystères qui offre des possibilités inouïes en matière de tension ou de suspense. Une fois kidnappées, les trois victimes n’ont pas simplement affaire à un psychopathe mais à un écorché vif, qui change d’identité comme d’accoutrement. Casey, la plus rusée des trois, interprétée à merveille par l’étoile montante Anya Taylor-Joy, va alors se jouer des personnalités les plus influençables de Kevin, dont Hedwig, un garçon de neuf ans, afin de s’échapper. De cette astuce, Shyamalan en tire un ressort à la fois ludique et éprouvant pour les nerfs du spectateur. Le sentiment de danger est permanent et pour cause, les garde-fous Dennis et Patricia, qui prennent régulièrement le contrôle de Kevin, menacent à tout moment de « regagner la lumière ».
En tant que conteur hors-pair, largement inspiré par les mythes, Shyamalan récidive ici en dressant le portrait d’une dernière identité monstrueuse, nommée « La Bête », et trouble ainsi la frontière entre le réel et l’irrationnel. En substance, le cinéaste nous invite à croire en l’impossible, alors même qu’il établit un contexte psychologique voire scientifique crédible de bout en bout. Le personnage du docteur Fletcher, la thérapeute qui suit Kevin, est à ce titre essentiel, dans la mesure où il cristallise cette croyance et appuie le discours selon lequel les personnes brisées par la vie ont accès à un plus grand potentiel. Beaucoup trouveront sans doute à redire là-dessus mais le message, même discutable, a le mérite de l’audace, tissant un parallèle très émouvant en bout de course entre le bourreau et sa victime collatérale, Casey.
Bien sûr, si l’ensemble tient admirablement en haleine, c’est aussi grâce à la mise en scène au cordeau du réalisateur. Non content de travailler impeccablement son hors-champ, notamment dans la scène inaugurale de l’enlèvement, véritable cas d’école en terme de découpage, il compose des plans souvent ingénieux qui révèlent peu à peu, grâce à leur durée, leur pleine signification. Pour électriser la caméra du maître, James McAvoy accomplit des miracles. Toujours imprévisible, il façonne au gré de ses expressions, de ses postures ou de ses intonations un méchant de cinéma inoubliable, tour à tour inquiétant, amusant, déchirant. Sa performance rappelle à bien des égards celle d’Anthony Hopkins en Hannibal Lecter dans Le Silence des Agneaux. Même magnétisme, même ambiguïté. Quelque part, à la lumière de la révélation finale, qui recontextualise brillamment le propos et le genre mêmes du film, l’interprétation flamboyante de McAvoy prend encore une toute autre ampleur. Coup de génie et pied de nez simultané à l’industrie hollywoodienne, cette pirouette de dernière minute assoit définitivement Shyamalan comme le grand manipulateur de sa génération.
Réalisé par M. Night Shyamalan, avec James McAvoy, Anya Taylor-Joy, Betty Buckley…
Sortie le 22 Février 2017.