Réaliser un film sur le handicap, qui plus est sur la découverte de la perte de son autonomie et le long chemin à parcourir pour accepter son nouveau corps, supporter les heures de rééducation dans un centre, séparé de ses proches, impose de relever un double défi, outre celui du financement d'un tel sujet. Le premier est de ne pas trahir ceux qui ont vécu les mêmes épreuves et attendent d'y retrouver un peu de leur histoire, de leurs douleurs et leurs espoirs. Le second est dans le même temps d'éviter le pathos, de ne pas poser sur cette histoire un regard qui à force de compassion deviendrait misérabiliste ou condescendant. Patients, dont le récit se concentre sur l'année que passera Ben ( Pablo Pauly) dans un centre de rééducation,témoigne de l'extrême soin pris par Fabien Marsaud et Mehdi Idir dans la structure narrative, l'écriture des personnages et la mise en scène, pour trouver le ton juste: émouvoir bien sûr, nous faire réfléchir sur le handicap évidemment mais surtout nous raconter une histoire avec des personnages forts et attachants. Dans ce premier film d'une maîtrise épatante, le sujet aussi fort soit-il n'écrase ni l'ambition narrative, ni l'ambition cinématographique.
Comme dans Rory O'Shea Was Here ( Damien O'Donnell , 2004) avec James McAvoy, Patients transcende la condition de ses personnages handicapés en se reposant sur la dynamique de leur relation. Il a manifestement été écrit et mis en scène comme un feel good movie dont la volonté d'éviter le pathos est claire, non qu'il édulcore complètement le parcours de Ben, ne s'intéresse qu'à la surface des choses et veuille tout repeindre en rose, mais il fait le choix très clair de diffuser un message d'optimisme, de rester connecté à l'énergie positive qui permet à ces patients d'aller au delà de leur handicap, de se vanner, de rire d'eux-mêmes. Si Patients est émouvant, s'il ne trahit rien des moments de profond désespoir que peuvent traverser ses personnages, il est aussi souvent très drôle, porté par un casting épatant jusque dans les plus petits rôles. Notamment ceux des aides soignant desquels Ben est totalement dépendant pour se laver, faire ses besoins naturels, manger, sortir de son lit: Jean-Marie ( Alban Ivanov), lunaire, qui n'interpelle jamais ses patients par leur prénom, leur parle à la 3ème personne, donnant d'abord l'impression de les infantiliser mais qui se révèle très attachant et compétent. Christiane ( Anne Benoît), est quant à elle un peu dépassée, dangereusement maladroite, probablement complètement inadaptée à ce travail, si ce n'est son extrême gentillesse et sa bonne volonté qui incitent ses patients à l'indulgence . Ces aide soignants comme les autres personnages du film sont directement inspirés de l'histoire de Grand corps malade, le récit de Ben étant le sien. Les acteurs choisis, pour la plupart inconnus du grand public, mais charismatiques et dirigés avec une grande justesse, insufflent une énergie constante dans un cadre par ailleurs très réaliste, le film ayant été tourné dans le centre de polytraumatisés et grands brûlés, ou séjourna Grand corps malade et en présence de patients jouant les figurants. Patients traite par l'humour de situations qui permettent de prendre conscience que lorsque l'on se retrouve ainsi handicapé, chaque journée comporte son lot d'épreuves et de défis à relever, que l'ennui est un ennemi mortel en ce qu'il précède le découragement.
Ce contraste entre la force des enjeux, le réalisme des situations et l'incroyable énergie et la bonne humeur de ces patients qui nous donnent une leçon de vie et de courage est la formule magique, imparable du film. Chaque personnage participe à la dynamique de groupe du récit tout en étant caractérisé et interprété avec beaucoup de justesse. Que ce soit Ben ( Pablo Pauly qui par son interprétation finit par ressembler physiquement à son metteur en scène) Farid ( Sofiane Guerrab) , Steeve ( Franck Falise), Toussaint ( Moussa Mansaly), Samia ( Nailia Harzoune), chacun a une histoire poignante (accident de voiture, tentative de suicide, accident de sport, ...) et réagit différemment face au handicap. Venant tous de milieux défavorisés, ils forment une petite famille dans laquelle on se vanne, on s'occupe pour " niquer les heures " comme le dit Farid et on s'apporte une énergie et un soutien sans lequel cette épreuve serait insurmontable. Ce qui ne les a pas tués ne les a pas rendus plus fort individuellement mais collectivement. Si chacun fait face différemment au handicap, que Ben est celui qui a la plus grande force de caractère, le message du film est qu'au delà de la volonté de chacun, c'est en s'ouvrant aux autres, par le partage, que le chemin vers l'acceptation de soi est possible. Face à ce récit, on n'est plus simplement un spectateur devant un écran mais un potentiel patient amené à réfléchir sur soi-même, sur la façon dont on ferait face à leur place et sur la chance que l'on a eu jusqu'à présent. Le regard fiévreux de Steeve, les vannes de Ben et sa détermination, le talent de sniper comique et d'ambianceur de Farid mais aussi son recul sur la vie, les pertes de mémoire de Samir, le regard triste de Toussaint et le sourire lumineux de Samia, sont des grenades d'émotions dégoupillées.
A cela et c'est là l'excellente surprise de Patients, il faut ajouter que la mise en scène est tout aussi pensée et précise que l'écriture. Le prologue est filmé en caméra subjective, épousant le point de vue de Ben, prisonnier de ce corps, encaissant notamment la réflexion horriblement " clinique " d'un médecin. L'entrée dans ce centre est à la fois rude mais porteuse d'espoir, accompagnée par la composition à la fois puissante et lumineuse d' Angelo Foley dont le thème principal nous restera longtemps en mémoire. En optant pour des cadres souvent fixes et resserrés sur ces patients, la mise en scène évite le piège de la caméra portée et tremblotante dans lequel tombent souvent les films pensant ainsi coller au plus près à leur personnage. Elle est néanmoins loin d'être statique et télévisuelle comme on aurait pu le craindre pour un premier film dont le sujet aurait pu écraser toute ambition formelle. Le choix des longs travellings latéraux pour accélérer le temps du récit, comme on tourne rapidement les pages d'un livre pour en connaître la fin est particulièrement judicieux. Il évite l'usage abusif d'ellipses narratives en même temps qu'il permet de se dispenser de scènes qui ralentiraient le rythme du film et dont la simple évocation par cette technique est suffisante. Les longs travellings dans les couloirs ont certes un petit côté " clipesque " mais ils participent, avec l'excellente bande originale qui les accompagne, à injecter de la vie et de l'énergie entre ces murs si froids. Si le récit est un peu plus convenu et prévisible dans ces derniers instants, il ne dévie toutefois jamais de la ligne qu'il a tracé et de la palette d'émotions avec laquelle il joue admirablement. Patients est un film d'une sincérité et d'une intégrité qui imposent le respect mais aussi d'une maîtrise qui force l'admiration. Si tous les premiers films français avaient autant de cœur et de talent, notre cinéma aurait un brillant avenir devant lui.
Titre Original: PATIENTS
Réalisé par: Grand Corps Malade & Mehdi Idir
Genre: Comédie dramatique
Sortie le: 1er mars 2017