Crépusculaires et radicales, les dernières aventures de Wolverine sont plus qu’un grand film de super-héros.
Si le cinéma de super-héros est aujourd’hui on ne peut plus ancré dans la machine hollywoodienne, au point de lui faire frôler l’overdose, on incombe souvent cet âge d’or à Spider-Man de Sam Raimi, mais surtout au premier X-Men de Bryan Singer. Un film aux performances technologiques indéniables, parvenant à rendre tangible son univers à un public pas encore prêt à s’attacher à la culture comics, et à la fois calibré sans oublier d’en être pertinent, voire audacieux. Reste que la postérité retiendra peut-être l’ensemble de qualités et de tares du genre que ce premier volet a en grande partie démocratisé, surtout dans son aspect parfois lissé qui touche en premier lieu son icône principale, Wolverine, bien moins brutal et borderline que sa version papier, et ce malgré l’interprétation toujours habitée de Hugh Jackman. Et après dix-sept ans de bons et loyaux services, l’acteur a décidé de raccrocher les griffes en adamantium, avec une pression suffisante sur les studios pour qu’ils autorisent un chant du cygne enfin âpre et violent tel que le mérite le personnage, surtout après le décevant Combat de l’immortel, qui voulait s’approcher d’une démarche équivalente tout en restant coincé entre deux eaux.
Se libérant ainsi du joug des univers étendus qui n’autorisent aucune sortie de route dans leur narration, Logan se permet une identité propre sans pour autant rejeter ses origines cinématographiques. C’est d’ailleurs James Mangold qui repasse derrière la caméra, prouvant de cette façon que le précédent opus n’était qu’un échauffement, un sacrifice essentiel et un combat sur le long terme qui semble en accord avec son héros, immortel faisant face au poids du temps, et à la douleur de la mort qui efface tout ce qui nous entoure. Et c’est ce temps et cette douleur que le cinéaste retrouve ici, dans une volonté de conclusion définitive sur son personnage, mais aussi sur le genre auquel ce dernier a en partie offert la gloire, alors que ses écueils de plus en plus grands ne peuvent le mener qu’à une disparition certaine.
De cette lucidité, Logan s’extirpe aisément de la masse et s’affirme non seulement comme le meilleur épisode de la trilogie Wolverine, mais aussi comme l’un des meilleurs X-Men, saga qui s’est toujours plus focalisée sur l’humain et l’intimité des super-héros que sur des enjeux bigger than life mais paradoxalement vains (l’échec d’X-Men Apocalypse en est révélateur). En jouant de la faculté des comics de justifier des réalités alternatives, le film propose la sienne, librement inspirée de la BD Old Man Logan. On y retrouve en 2029 un Wolverine vieillissant, perdant petit à petit ses pouvoirs et travaillant à la frontière mexicaine pour acheter des médicaments à un Professeur Xavier sénile, alors que les mutants ont pratiquement disparu de la face du globe. Dès lors, ce n’est pas seulement cette vision nihiliste et sans concession d’un univers auquel nous avons été habitués qui nous émeut et nous prend aux tripes, mais sa radicalité que parvient à conserver toute l’équipe dans une osmose revigorante, de l’écriture sombre et cruelle à la réalisation sobre et intelligente de Mangold, en passant par les interprétations impériales de Hugh Jackman et de Patrick Stewart, accompagnés de la révélation Dafne Keen dans le rôle de la jeune Laura, mutante pourchassée par des bad-guys cyborgs façon Deus Ex, qui va pousser tout ce petit monde dans un road-trip salvateur.
Et grâce à cette épure des enjeux et des décors, majoritairement désertiques et champêtres pour offrir des lignes d’horizon dégagées, Logan marque la filiation du genre super-héroïque avec le western, tous deux représentatifs des idéaux de l’Amérique comme de ses contradictions, cette liberté régie par la violence et la justice expéditive, que Wolverine cristallise autant chez Marvel que Batman chez DC. Présenté tel un cow-boy moderne, le personnage révèle sa véritable identité étasunienne, malgré ses origines canadiennes. De ce postulat découle toute la brutalité du métrage, soignée par le classicisme efficace de James Mangold, qui montre avec jouissance la douleur que livre son héros, tout en nous faisant grincer des dents face à celle qu’il subit. Ces élans gores, au-delà de leur beauté graphique évidente, assure surtout l’absence totale d’hypocrisie du projet, qui embrasse avec ferveur la dimension vengeresse du super-héros, qui n’est pas sans renvoyer à la morale d’Un justicier dans la ville. A l’heure où Marvel et consorts tentent de justifier, souvent vainement, leurs figures dans un monde moderne plus démocrate, Mangold rappelle avec justesse leur profession de foi fondamentalement réactionnaire, qu’il délivre ici avec une noirceur politiquement incorrecte dont le succès ne peut que réjouir. Car en étant plus jusqu’au-boutiste que le sympathique Deadpool, Logan démontre avec émotion la fin d’un règne à venir, et prend du recul avec le carton des films de super-héros, nécessairement lié à une pensée politique plus ou moins enfouie et assumée (de là à lier le succès de ces longs-métrages, surtout après l’élection d’Obama, avec la montée progressive des extrêmes dans de nombreux pays, il n’y a qu’un pas).
Néanmoins, derrière cette réflexion métatextuelle plus subtile et juste qu’à l’accoutumé, Logan est avant tout un vrai drame intimiste ponctué d’accents de série B à l’ancienne qui se mêlent à merveille. La dimension adulte du film n’est pas simplement due à son esthétique et à son aspect sombre, mais aux enjeux dramatiques de l’ensemble, qui construisent à chacun des personnages des arcs narratifs forts (bien que l’on n’aurait pas été contre quelques scènes pour renforcer encore plus les relations entre Wolverine, Laura et Xavier, ainsi que des méchants un peu plus consistants). Logique et imparable du début à la fin, le long-métrage parvient à justifier le moindre de ses éléments, à commencer par ses scènes d’action, qui gagnent une puissance supplémentaire, à contrario de la majorité des blockbusters actuels qui les incluent au forcing, telle de la farce négligemment mise dans une dinde. Le ton crépusculaire et douloureux de Logan gagne alors un pouvoir nihiliste, décrivant la souffrance de l’icône qui ne rêve que de mourir, même si cela lui est impossible, pour arrêter d’assister à la chute de son monde contre laquelle il ne peut rien. Porté par cette mélancolie à la force dévastatrice, Logan brise presque le quatrième mur quand il s’attaque à la thématique du deuil que ressent son héros, car c’est également ce qui nous atteint, tandis que nous assistons à la fin d’une époque et d’un être qui, bien qu’irréel, nous a accompagné durant de nombreuses années.
Réalisé par James Mangold, avec Hugh Jackman, Patrick Stewart, Dafne Keen…
Sortie le 1er mars 2017.