[CRITIQUE] – Grave (2017) !

Grave Réalisé par : Julia Ducournau

Avec : Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabah Naït Oufella

Date de sortie : 15 mars 2017

Durée : 1h38min

Distributeur : Wild Bunch Distribution

Synopsis :

Dans la famille de Justine tout le monde est vétérinaire et végétarien. À 16 ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d’intégrer l’école véto où sa sœur aînée est également élève. Mais, à peine installés, le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue. C’est la première fois de sa vie. Les conséquences ne se font pas attendre. Justine découvre sa vraie nature.

4,5/5

Julia Ducournau, jeune réalisatrice et scénariste parisienne diplômée de la promotion 2008 de La Femis ainsi que de l’université de Columbia, débarque de la plus belle des manières dans le cinéma avec un premier long métrage, Grave, qui lui a valu le Grand Prix de la 24ème édition du Festival de Gérardmer. Passée par le téléfilm (Mange en 2012) et par un court-métrage (Junior) qu’elle avait fait avec Garance Marillier – actrice principale de Grave – Julia accroche le spectateur par la force, le dégoût et la question de l’adolescent.

Grave traite de nombreux sujets dont le principal relève de la sexualité chez l’adolescent. Là où, dans le livre Les Teen-Movies d’Adrienne Boutang et Célia Sauvage la sexualité est divisée en trois points dans les films d’horreurs (slasher, film de monstre et film de vampire), Grave s’inscrit quant à lui dans un registre tout autre, que l’on peut qualifier de sans genre tellement il joue sur plusieurs fronts à la fois. Le film joue sur les nerfs du spectateur mais également sur l’angoisse et une dimension psychologique dérangeante. La question de la sexualité est ainsi bien approfondie comme une question de danger qui n’épargne personne, ni la protagoniste, ni les victimes. Ici, l’élément déclencheur de la sexualité chez la jeune adolescente, du nom de Justine (Garance Marillier), est la viande. Egalement élément déclencheur de son envie de cannibalisme, la viande est l’élément actif qui regroupe dans le scénario de Julia Ducournau une double pulsion.

Grave

Dans le slasher, le sexe est synonyme de mort. Dès qu’un personnage couche, il meurt : la preuve avec Halloween ou encore Vendredi 13. Bien entendu l’exception existe avec par exemple Cherry Falls de Geoffrey Wright. Dans Grave, c’est la pulsion sexuelle de Justine – qu’elle utilise afin de devenir ce qu’elle est au plus profond de son être – qui va l’ouvrir aux changements, aux expériences, à la différence et à l’affirmation d’elle-même et de son corps. Justine, en intégrant une école de vétérinaire, entre dans un cadre où elle se retrouve encerclée par de nombreux adolescents tous très différents et qui vont justement l’incitée dans ses expériences. La soirée d’intégration et le bizutage qui s’en suivent sont deux passages clefs du début de la transformation de la jeune fille. Elle est cependant enveloppée dans une espèce de figure familiale par le biais de sa sœur (Ella Rumpf) qui comme elle est végétarienne et qui réapprennent à consolider leur lien fraternel. Une scène symbolique et précurseur de la transformation de Justine se met d’ailleurs en place dans la chambre de sa sœur, scène très puissante et intimiste entre deux figures féminines qui depuis le début du film, ne paraissent pourtant pas si proche que ça.

La sexualité devient alors le « monstre » dans le film. Justine s’en sert, et parfois même force (scène d’une fête) pour assouvir ses pulsions. Elle séduit ainsi sous l’effet de l’instinct qu’on peut définir d’animalier. L’extrême arrive dans une scène très ressemblante à celle de Fish Tank d’Andrea Arnold où l’actrice danse devant son miroir sur une chanson du duo ORTIESdans Fish Tank Katie Jarvis danse devant un clip de hip-hop où la femme est objet – ce qui est le total opposé des paroles du son « Plus putes que toutes les putes » d’ORTIES, qui assument leurs corps et leurs actions. L’esthétique du film se compose de lumière chaude, comme l’orange et le rouge mais pas que, et qui est très contrastée. La lumière moleste d’ailleurs le cadre et ses personnages. Le cadre et la lumière montrent la puissance et le pouvoir qu’a le sexe chez la fille qui n’est pas la malédiction (comme dans It Follows ou d’autres films où il entraîne la mort) mais comme un penchant afin d’atteindre la véritable malédiction : le cannibalisme. Ruben Impens – directeur de la photographie du film – offre un cadrage très symétrique, qui fait sûrement référence à celui de Shining.

Grave

Grave montre alors l’évolution de la fragilité de Justine en « monstre », qui ne trouve pas sa place de par sa différence (végétarienne). Cela se rapproche énormément de son coloc de chambre universitaire (Rabah Nait Oufella), un adolescent homosexuel qui s’accepte tel qui est (il n’hésite pas à le faire savoir), ce qui va aider Justine à encaisser son changement. La nervosité de Grave en fait également un film de la première fois sous différentes coutures : premier long-métrage, première fois hors du cadre parental pour Justine (question de l’indépendance), première fois où elle mange de la viande et brave donc un interdit dans cette faille de végétarien…. David Cronenberg a énormément inspiré la réalisatrice dans la représentation du corps humain qui pousse au changement physique et psychologique chez Justine tout comme chez le spectateur. Le cannibalisme devient par la suite banal dans le film et offre des interrogations diverses.

Grave s’inscrit comme un teen movies puissant, renversant et condensé d’éléments renversants. Jamais un film français traitant de l’évolution du corps féminin d’une adolescente n’a été aussi bon depuis It Follows.

Image de prévisualisation YouTube