"De gauche à droite: Dorothy Vaughan, Katherine Johnson et et Mary Jackson"
Les Figures de l'Ombre – 8 Mars 2017 – Réalisé par Theodore Melfi
Le destin extraordinaire des trois scientifiques afro-américaines qui ont permis aux États-Unis de prendre la tête de la conquête spatiale, grâce à la mise en orbite de l’astronaute John Glenn. Maintenues dans l’ombre de leurs collègues masculins et dans celle d’un pays en proie à de profondes inégalités, leur histoire longtemps restée méconnue est enfin portée à l’écran.
Lorsque j'ai vu le film « Queen of Katwe », je n'ai pas seulement découvert la vie d'une jeune femme devenue une championne d'échec, mais aussi celui d'un modèle pour les jeunes filles et pour les femmes de la communauté noire. Ce jour là, j'ai réellement compris ce qu'une meilleure représentation des minorités au cinéma pouvait apporter dans la construction d'une personne et d'une communauté. Alors oui, je pense que peu importe la couleur de peau, on peut s'identifier à tel ou tel personnage de fiction ou encore à une personnalité, mais quand la société vous indique implicitement que vous n'existez pas ou que vous ne comptez pas, ce n'est pas acceptable. Et militer pour plus de représentation à tous les niveaux est un acte essentiel dans nos sociétés occidentales, multi-culturelles et ouvertes au monde, qui se doit ne pas aimer que leurs argents, leurs voix ou leurs soutien.
Le cinéma quant à lui essaye de faire sa mue, ce qui n'est pas aisé, mais il nous gratifie de films essentiels, de films brillants, comme « Queen of Katwe » cité plus haut, « Selma » de Ava Duvernay, le tout jeune oscarisé « Moonlight » ou encore « Les Figures de l'Ombre ». Ce film met en lumière l'histoire peu connue de trois brillantes scientifiques afro-américaines qui ont participé au programme Mercury et à la conquête spatiale. Elles s'appellent Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Johnson et ce sont les héroïnes du film dont je vais vous parler.
Des son plus jeune age, Katherine Goble révèle des facilités étonnantes pour les sciences. Un don que ses parents vont encourager, faisant d'elle une brillante mathématicienne. 1962, Katherine travaille à la NASA avec Dorothy Vaughan et Mary Jackson au centre de recherche Langley. La première travaille sous les ordres de Dorothy Vaughan, superviseur d'un groupe de « calculatrices humaines » qui ont en charge le calcul et la vérification des différentes données nécessaires pour les vols que la NASA prépare. Quant à Mary Jackson qui aspire à devenir ingénieur, travaille dans un groupe qui planche sur l'intégrité de la capsule qui servira lors des vols. Mais ces trois amies, ces trois brillantes scientifiques doivent aussi composer avec la ségrégation qui à encore cours dans l'état de Virginie. Une difficulté qui leurs rendent parfois la vie pénible, les renvoyant systématiquement à leurs couleurs de peau et les cantonnant ainsi à un espace, une porte ou un poste. Une situation inacceptable dont elles s'accommodent pour mieux la combattre et prouver que rien n'est impossible …
C'est au final un film qui détonne autant qu'il étonne, « Les Figures de l'Ombre » sans jamais transcender sa forme, ne tombe pas dans l'écueil du film calibré à 200 % pour les Oscars (Coucou Argo ou The Artist !). Le réalisateur Théodore Melfi est ainsi l'enseignant que l'on aurait aimer tous avoir, proche de son sujet, jamais lourdingue et qui a compris qu'il fallait intéresser son auditoire sans l’assommer par un cours magistral. On se retrouve alors avec un feel-good movie, une bande originale entraînante et un trio d'actrices phénoménales, pour un résultat instructif et surtout enjoué …
« Les Figures de l'ombre » ou « Hidden Figures » est l'adaptation du livre éponyme de l'autrice Margot Lee Shetterly. Particularité de cette adaptation, lors du deal entre le studio et l'éditeur du livre pour les droits, l'autrice n'avait pas encore fini de l'écrire. De ce fait le scénario du film occulte le portrait d'une quatrième femme « Christine Darden » présente dans le livre. Preuve si il le fallait du nombre d'histoires similaires que Margot Lee Shetterly a déterré, en commençant par celle de Katherine Johnson. D'ailleurs depuis Octobre 2014 elle s'est engagée sur un projet ambitieux, « The Human Computer Project » qui va rassembler les histoires, les anecdotes et bien d'autre choses sur les mathématiciennes ayant collaborées aux programmes aéronautiques et spatiales des Etats-Unis dans un musée virtuel ( http://thehumancomputerproject.com/)
Co-écrit par Theodore Melfi et Allison Schroeder, le scénario se concentre sur les quelques mois précédant le premier vol orbital d'un américain pendant le programme Mercury lancé en 1958. Le scénario suit donc Katherine Johnson, Mary Jackson et Dorothy Vaughan a des postes clés pour la réussite du programme. Katherine Johnson se trouve dans le « Space Task Group » et vérifie les calculs à chaque étape du développement; Mary Jackson est avec les ingénieurs qui mettent au point la coque de la navette friendship et Dorothy Vaughan mets en service le premier ordinateur IBM et apprend le langage de codage associé.
Si le scénario aurait certainement pu être plus pousser, plus précis et encore plus engagé, il a cette qualité de nous amener vers un territoire inconnu qu'est l'histoire de ces “Figures de l'ombre”. Une histoire hors du commun, bercée par les rythmes pop de la star Pharell Williams que le réalisateur emballe avec classicisme, mais avec une énergie débordante ! Feel Good movie oblige, le film n'est pas là pour culpabiliser ou accuser (même si il ne laisse aucun doutes sur l'époque en question et sur ce qu'il reste à faire dans désormais l'Amérique de Donald Trump), mais bien pour nous inspirer tous, nous pousser vers l'avant, nous forcer à voir plus loin et à toujours croire dans nos rêves les plus fous. Cela oscille entre des notes d'humours, d'amours et de courages, sans que rien ne prennent le pas sur l'un ou l'autre. Les deux heures que durent le film passent à une vitesse folle, c'est bien rythmé, bien raconté et il sait amener l'émotion quand il faut. Visuellement le film est assez joli, la direction artistique de Wynn Tomas nous emmène dans les années 60 avec aisance et la photo de Mandy Walker marque bien la différences entre les deux vies des trois personnages principaux.
Quant au casting, je n'ai que des louanges à dire dessus ! On retrouve un certain Kevin Costner qui est définitivement à l'aise dans les années 60. Il joue le rôle de Harrison, le superviseur de Katherine Johnson et il incarne avec conviction le patron bienveillant. Puis il y a aussi Jim Parsons dans le rôle de l'ingénieur en chef du « Space Task Group », une composition discrète mais efficace et enfin le sympathique Glen Powell dans le rôle d'un John Glen élégant et affable. N'oublions pas Kirsten Dunst qui hérite d'un rôle ingrat et mal écrit dans celui de la superviseuse raciste de service qui s'ignore; c'est sans surprise mais cela reste efficace si l'on aime les clones d'Hillary Clinton. Il y a aussi le tout fraîchement oscarisé pour sa prestation dans Moonlight, monsieur Mahershala Ali. Cet acteur joue Jim Johnson, le futur mari de Katherine Goble. Une prestation discrète mais pleine de charme. Ensuite voici les visages des trois « Figures de l'ombre ». Taraji P. Henson interprète le rôle de Katherine Johnson, Octavia Spencer celui de Dorothy Vaughan et Janelle Monae celui de Mary Jackson. Trois actrices fabuleuses, une débutante (Janelle Monae), deux plus expérimentées, mais la même volonté de s'effacer derrière le rôle qu'elles doivent composer, conscientes de l'héritage qui pèse sur leurs épaules. On sent toute cette force, cette rage et cette volonté de tout renverser, une abnégation qui force le respect et qui rend hommage à ces grandes dames que je ne connaissais pas avant de voir le film. Mon coup de cœur de ce début d'année !