Une bande à part au Spring Break.

Par Victorvandekadsye @BrouillonsCine

Deux balades criminels à différentes époques du cinéma. L'un est une oeuvre-phare appartenant au mouvement de la Nouvelle Vague, l'autre est une œuvre iconoclaste à mi-chemin entre le cinéma indépendant américain et le clip MTV. Jean-Luc Godard et Harmony Korine, deux figures de la marginalité au cinéma.

Tout pourrait laisser croire à ce que le cinéma de Godard et Korine. Jean-Luc est le patriarche d'une des plus grandes révolutions du cinéma international, mouvement alternant entre véritables succès commerciaux et échecs au box-office. Harmony, quant à lui, est un jeune cinéaste émergeant dans le cinéma indépendant des années 90 en collaborant avec des figures importantes de ce cinéma tels que Larry Clarke ou Gus Van Sant ainsi que la folie du cinéma européen sous les traits de Werner Herzog. Des époques qui les séparent chronologiquement et pourtant, le cinéma-punk de Korine pourrait s'inscrire comme pur descendant du réalisateur d'A Bout de Souffle.

Le cinéma de Korine s'inscrit dans une pratique assez inégalable de la déstructuration d'une image. Dès son premier long-métrage, " Gummo "ou une plongée tragique chez la marginalité de la classe white-trash filmée comme un documentaire, on découvre cette fascination plastique de déstructurer les images à sa guise livrant des œuvres iconoclastes. Des regards-caméras, de nombreuses interludes musicales et des émanations de paroles en voix-off, ça ne vous rappelle rien ? L'esprit insolent de Godard plane sur le cinéma de Korine. On pense à Jean-Paul Belmondo demandant au public " d'aller se faire foutre " si celui-ci n'aime pas la plage et la montagne, on repense aussi à la danse de Madison pratiquée par le trio de " Bande à part " à la vision d'un film de Korine. Un esprit qui plane mais toutefois jamais copié. Korine, ayant émergé dans une génération partagée entre les milieux undergrounds et les clips MTV, façonna son cinéma en baignant continuelle dans les zones les plus sombres des Etats-Unis en oscillant entre un cinéma traditionnel et une certaine utilisation de la vidéo et du clip pour créer une image distordue, sale mais remarquable cependant. Vous pouvez voir ci-dessous deux extraits de " Gummo " et " Mister Lonely " d' Harmony Korine (avec un caméo de Werner Herzog en prime)

Une marginalité cinématographique mais aussi représentative de l'état d'esprit des personnages présents dans les films de ces artistes. Présentant chacun " une bande à part " de la société en s'affranchissement des normes pour mieux chercher son identité. " Bande à part " et " Spring Breakers " sont deux œuvres similaires et parfaites pour témoigner de cette idée de " marginalité ". Dans chacun de ces deux films-cultes, on y suit des jeunes protagonistes en quête d'un idéal pouvant leur apporter évasion et sens. Odile souhaite quitter sa vie routinière et ses études comme les princesses Disney étudiantes dans " Spring Breakers " souhaitent partir au Spring Break par lassitude d'une vie leur étant imposée par le circuit traditionnel de l'école. Ces héroïnes vont y rencontrer des figures charismatiques côtoyant chacun le monde du crime, sous les traits de Claude Brasseur et Sami Frey chez l'un et James Franco chez l'autre, retrouvant un vent de liberté aux airs d'insouciance.

Cette insouciance baignée dans une imagerie ancrée dans la pop-culture, Godard et Korine en signent des moments de grâces intenses et marqués par la puissance des acteurs et de la musique. Et si la séquence de Madison entre Karina, Frey et Brasseur se réincarnait sous la photographie de Benoît Debie et la mélodie pop à la tonalité tragique de Britney Spears ? Et si chez ces gangsters californiens éduqués à une mauvaise lecture de " Scarface " et à " My Little Pony " se cachait une part de l'esprit des marginaux de Godard, éduqués aux films noirs de la Monograph Pictures ?

Godard et Korine se ressemblent en étant pourtant si différents. S'appropriant les normes du cinéma traditionnel de leurs époques pour mieux les détruire, ils ont définitivement su créer et respecter un cinéma faisant l'éloge impérial de la marginalité.

Victor Van De Kadsye