LE SERPENT AUX MILLE COUPURES : Nos régions ont du talent ★★★☆☆

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Un film de genre très bien ancré dans un contexte français trop peu exploité. Rafraîchissant.

Si l’on répète que le cinéma de genre a bien des difficultés à se faire une place dans le paysage français, c’est principalement lorsque l’on évoque les quelques exceptions à cette règle, auxquelles l’amoureux de films sortant du carcan des drames ronflants et des comédies balourdes s’agrippe comme à de rares bouées de sauvetage. Néanmoins, ils ne remportent pas nécessairement leur combat par leur simple existence, car ils doivent faire face à des distributeurs et des exploitants pas toujours prêts à défendre leur démarche et à prendre des risques, rendant ainsi difficile la visibilité d’œuvres déjà complexes à créer. Le Serpent aux mille coupures répond parfaitement à cette problématique, ne serait-ce que par sa nature de thriller hard-boiled qu’a pleinement embrassé son réalisateur Eric Valette (Maléfique, Une affaire d’État), quitte à ce que certaines scènes graphiques (notamment des séquences de torture assez réussies) lui imposent une interdiction aux moins de 16 ans, diminuant nécessairement son champ d’exploitation. Non pas que cette classification soit imméritée (elle rassure même quant au jusqu’au-boutisme du métrage), mais elle réduit à un public de niche un film qui tend pourtant à prouver que le genre n’est pas une forme de communautarisme cinématographique. Au contraire, il emploie un type de récit codé pour toucher à des interrogations sur nos sociétés, de façon souvent plus pertinente et juste que dans un film à l’intellectualisation forcée, voulant se donner cette étiquette de « drame social » pour se légitimer, alors qu’il ne fait qu’enchaîner des lapalissades.

En s’inspirant d’un roman de DOA, Le Serpent aux mille coupures surprend ainsi par la rareté de son contexte pourtant passionnant. Le scénario inscrit son thriller dans un milieu rural (dans le Sud Ouest) où un mystérieux motard, incarné par Tomer Sisley, prend une famille de jeunes fermiers en otage alors qu’il a tué des membres d’un cartel d’origine colombienne. A cela va s’ajouter les recherches de la police, soutenue par la venue d’un agent mexicain, mais aussi une vendetta lancée par un mystérieux asiatique aux yeux bleus (terrifiant Terence Yin). Si le film a pour principal défaut de souffrir de sa structure tortueuse, au point de perdre par instants le spectateur et de révéler quelques ficelles d’écriture trop mécaniques, il crée également son sens premier de ce fourmillement de sous-intrigues, constituant son récit comme un entonnoir destiné à réunir dans un seul et même bain de sang tous ses personnages, exutoire des tensions que le métrage tend à mettre en avant. Car Le Serpent aux mille coupures assume avec un franc-parler le pouvoir du genre d’exagérer la réalité, de la rendre plus extraordinaire, pour en dépeindre certaines vérités. Ici, Eric Valette mêle un nombre important d’origines ethniques au sein d’un univers au racisme latent (le fermier que séquestre le motard est noir, ce qui lui vaut des menaces de la part des autres agriculteurs du coin), France profonde trop peu décrite dans les productions actuelles, que l’on préfère ignorer plutôt que de la regarder dans les yeux, surtout à l’heure où les extrêmes politiques gagnent de plus en plus de voix. Le cinéaste déploie ainsi un propos bien plus moderne que la plupart des fictions françaises qui se réclameraient de cette pertinence dans le description de notre pays, justement parce qu’elle est avant tout prétexte à une pure série B souvent jouissive, notamment dans sa fusillade finale sobre mais efficace. La dimension réactionnaire de cette diégèse s’avère même propice aux inspirations du western que Valette aime à distiller dans ses cadres (parfois sublimés par une très belle photographie).

Le Serpent aux mille coupures s’amure dès lors de sa nature protéiforme, autant dans ses modèles que dans la construction de son monde, qui gagne en singularité par cette volonté de mixité. Le personnage de Terence Yin l’affirme lorsqu’il explique que l’anomalie de ses yeux est due à l’origine allemande de son père, marié à une Chinoise. Si l’acteur offre une performance indéniablement charismatique, il est cependant aidé par ses pupilles soudainement perçantes, qui le rendent plus inoubliable que la majorité des bad guys taciturnes du genre. Alors certes, le budget très limité de la production se fait parfois sentir. Néanmoins, cela n’empêche pas Eric Valette de constituer un ensemble solide et cohérent avec le peu qu’on lui a conféré, rappelant par instants la belle époque des films d’action à la française, pas toujours très ambitieux mais dotés d’un vrai savoir-faire et d’une envie de divertissement honnête. Les sourcils froncés et la pose inquiétante de Tomer Sisley n’est pas sans convoquer ce cher Jean-Paul Belmondo. Quitte à trop reposer sur ses acquis, Le Serpent aux mille coupures manque parfois d’originalité, mais il réanime avec force cette faculté du cinéma hexagonal de posséder de véritables gueules, des gueules qui marquent sa spécificité : sa multiculturalité.

Réalisé par Eric Valette, avec Tomer Sisley, Terence Yin, Pascal Greggory

Sortie le 5 avril 2017.