FAST AND FURIOUS 8 : Le post-modernisme du Baboulinet ★★★☆☆

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Toujours foutraque mais jouissive, la saga Fast and Furious revient avec un volet mieux équilibré, et parfois pertinent dans la perception de sa propre image.

Passée de la saga de street racing pour un public de niche à l’immense succès populaire dopé aux stéroïdes et au grand n’importe quoi, la licence Fast and Furious tient peut-être son principal attrait de son dérapage contrôlé vers le film d’action over the top et surréaliste, tout en parvenant à conserver intact son centre névralgique que constitue sa « famille ». La bande de notre Baboulinet adoré n’a en effet jamais cessé d’accompagner la mutation de son univers, de plus en plus orienté dans une tendance James Bond période Pierce Brosnan, poussée à son paroxysme dans ce huitième volet mêlant terrorisme high tech et combat de voitures sur la glace comme à la belle époque de Meurs un autre jour. Ce qui ne change jamais, ce sont les barbecues, les Corona et les accolades viriles entre bonshommes, même lorsque l’on accepte dans son clan d’anciens ennemis ou que l’on se remémore la perte de nombreux amis. La famille de Dominic Toretto (l’inénarrable Vin Diesel) est dysfonctionnelle, mais elle demeure, envers et contre tout, consciente de l’improbabilité de cette survie.

Il y a donc dans Fast and Furious une dimension fortement post-moderne. Et si cette posture du clin d’œil et de l’ironie a souvent de quoi rendre détestable le blockbuster contemporain, qui l’emploie pour justifier sa propre bêtise, voire son vide abyssal (et la série en question n’y échappe pas), le cas présent l’utilise avant tout pour rire de sa surenchère jouissive, qui rappelle que la franchise est un pur objet de cinéma, simplement préoccupé par la cinégénie de ses cascades improbables défiant les lois de la physique (au point pour chaque générique de fin de préciser au public qu’il ne doit pas tenter de les reproduire). De ce fait, les personnages savent qu’ils se jouent constamment de la mort, protégés par ce pouvoir de la fiction qui ne leur fait jamais payer leurs pulsions de vitesse et d’adrénaline. Pourtant, Fast and Furious 7 s’en est retrouvé à tordre ce constat, alors que la réalité a décidé de rattraper l’imaginaire lorsque l’acteur Paul Walker est réellement décédé dans un accident de voiture. Si son adieu à la saga a été déguisé derrière l’envie de son personnage de prendre soin de sa famille, le réalisateur James Wan a pleinement assumé de presque briser le quatrième mur. Le comédien et son rôle se mêlaient une ultime fois, avec la connivence du spectateur qui saisissait l’hommage.

De ce fait, difficile de ne pas voir dans ce nouveau départ un besoin cathartique de revenir à ce sentiment d’immortalité et de surpuissance offerts par la franchise depuis son délirant cinquième volet. Plus que jamais désireux d’enchaîner les morceaux de bravoure variés et hallucinants, Fast and Furious 8 trouve en F. Gary Gray un artisan honnête qui va droit à l’essentiel, même s’il s’avère finalement moins virtuose que Justin Lin ou James Wan. Néanmoins, la saga ne peut pas totalement oblitérer le ton apporté par l’opus précédent, et se décide donc de remettre une nouvelle fois en question la capacité de la « famille » de tenir, lorsque son pilier central, Dom, passe du mauvais côté de la barrière, aux côtés de Cypher, une cyber-terroriste qui le fait chanter (Charlize Theron, sous-exploitée). Et étonnamment, c’est ce scénario, avant tout pensé pour mettre en avant l’égo surdimensionné de Vin Diesel, qui fait le sel de cet épisode. Habituellement, les Fast and Furious peinent à conserver un rythme nerveux, contraints de justifier plus ou moins vulgairement le passage d’une scène d’action à une autre. Alors certes, F8 n’évite pas un ventre mou en milieu de parcours, mais il épure suffisamment ses enjeux pour maintenir en haleine, et ainsi ne pas se soucier de certaines transitions pour mieux bourriner dans les grandes largeurs. En résulte une bêtise de plus en plus décomplexée, accompagnée cependant d’un fun plus que jamais grandissant, et surtout d’un véritable build-up dans l’action et la tension. De plus, F. Gary Gray a la bonne idée de suivre la voie de Justin Lin dans sa volonté d’amener la saga du côté des actioners 80’s, notamment quand il iconise Dwayne Johnson comme le nouvel Arnold Schwarzenegger, lors d’une évasion de prison démente où il pourchasse Jason Statham, et où sa montagne de muscles indestructible se révèle insensible aux balles en caoutchouc.

Dès lors, la surenchère qui pousse le spectateur à se demander ce que les scénaristes vont bien pouvoir concocter pour le prochain film se montre comme la principale qualité et la principale limite de F8. Il est évident qu’on ne peut qu’écarquiller les yeux en voyant un sous-marin nucléaire pourchasser des bolides, mais le fait de voir la franchise tourner vers la parodie nous sort quelque peu de l’entreprise, qui semble ne plus trop s’assumer alors qu’elle passe son temps à s’auto-référencer et à glorifier sa soi-disant mythologie. Pourtant, s’il jouait plus de sa déclaration d’amour au cinéma bis pour cancres que l’on affectionne tant, Fast and Furious pourrait devenir le nouvel Expendables, autre saga défendant l’immortalité d’une niche de gueules burinées, qui se feraient d’ailleurs une très belle place dans la famille de Dom (Stallone et Schwarzenegger en bad guys d’un prochain opus, j’ose rêver !) Les deux licences partagent cette déréalisation de leur diégèse, clin d’œil constant au spectateur qui n’est pas tant putassier que désireux de nouer un lien presque tangible avec cette bande de personnages dont nous désirons faire partie.

C’est aussi en cela que Fast and Furious se révèle post-moderne. Dans ces films où la psychologie est mise à l’écart, et où les voitures sont presque des protagonistes, les corps et leurs liens à la machine sont pourtant primordiaux. Nous évoquions récemment avec John Wick 2 un post-modernisme hérité d’une esthétique du jeu vidéo, avec cet univers proche d’une Matrice où les règles qui le régissent semblent donner aux figurants des allures de PNJ aux réactions sommaires. Tout est programmé pour servir de terrain de jeu au héros et à ses ennemis. F8 va encore plus loin en éradiquant ces silhouettes dans la meilleure scène du long-métrage, dans laquelle Cypher prend le contrôle de centaines de voitures en hackant leurs systèmes électroniques. Sans conducteurs, les véhicules deviennent des zombies, filmés d’ailleurs comme tels par F. Gary Gray, et rappelant les engins de pixels qui peuplent certains jeux de course. Fast and Furious tirait jusque là sa jouissance de celle de ses personnages, qui trouvaient leur pseudo-liberté dans la maîtrise de leur destrier à quatre roues. Désormais, la cinégénie est affichée dans sa programmation, pour être plus badass que jamais. Les voitures deviennent elles-mêmes des corps, les véritables êtres immortels qui subsisteront à tous les protagonistes de la saga. Après tout, elles demeurent sa raison d’être, celle qui a mené la petite entreprise de Rob Cohen à se transformer en mastodonte des blockbusters actuels, et c’est avec une certaine lucidité que ce dernier film admet la mécanisation de ces derniers, plutôt efficace dans ce cas-ci, mais où les machines deviennent plus humains que les humains. Comme dirait le poète, qu’importe les corps, pourvu qu’on ait le crash.

Réalisé par F. Gary Gray, avec Vin Diesel, Dwayne Johnson, Charlize Theron

Sortie le 12 avril 2017.