Incarné et impressionnant de maîtrise, le premier film de Raúl Arévalo est une très belle surprise.
Récompensé par certains des Goya (les César espagnols) les plus prestigieux, dont celui de meilleur film, La Colère d’un homme patient prouve avec aisance la magie du cinéma ibérique, qui outrepasse volontiers les habituelles hiérarchies des genres pour mettre en valeur des projets osés et courageux. Car ce premier long-métrage de Raúl Arévalo (acteur très connu en Espagne) est non seulement une révélation, mais un pur fantasme de ténacité et de persévérance, en accord évident avec son scénario. En effet, tout comme son personnage principal, José, qui cherche à venger la mort de ses proches lors d’un braquage de leur bijouterie, le réalisateur aura attendu huit ans pour préparer son revenge movie. Ce rapport tangible entre l’auteur et son (anti-)héros frôle même la mise en abyme, tant le cinéaste laisse percevoir dans le visage impassible du magistral Antonio de la Torre toute la frustration enfouie d’un être que l’on a privé de raison de vivre, et qui tente désespérément de la retrouver dans cette croyance inébranlable en une justice personnelle. A travers sa photographie poisseuse sublimée par l’apport du 16mm, le film ne cherche pas tant à créer un pur salopard mutique à la morale douteuse, mais plutôt un homme simple perdu dans une Espagne rurale peuplée de gens aux vies diverses. Le récit, tout comme son protagoniste, avancent, inexorablement, sans aucune autre échappatoire. De couloir en couloir, de ligne droite en ligne droite, la caméra aime suivre de dos un corps et un esprit motivés par une conviction sans faille, qui assaille le spectateur de questions sur son bien-fondé et ses conséquences, sans pour autant tomber dans la psychanalyse de comptoir. Et pour cause, la réussite de La Colère d’un homme patient réside justement dans cette gestation du projet, qui a notamment amené Arévalo à collaborer avec un psychologue pour se montrer juste dans la description de son personnage.
Millimétré dans le moindre arc narratif, dans ses effets de mise en scène et surtout dans ses dialogues, le métrage jouit de l’épure de sa programmation, condensé coup de poing au rythme infaillible et à la montée dramatique brillante d’efficacité. Jouant à merveille avec les non-dits et le silence, le réalisateur évite toute intellectualisation trop formelle de son concept pour un pur moment de ressenti, qui convoque nos tripes en même temps que celles de José, dont la condition et l’évolution volontairement limitée, dans une structure qui ne lui laisse qu’un seul choix, permettent de constamment comprendre ses tourments, sans jamais les surexpliquer. Économe dans le bon sens du terme, l’ensemble exploite à merveille son budget de 1,7 million d’euros pour amener chaque plan à être le plus signifiant possible. La Colère d’un homme patient renvoie ainsi à un cinéma d’immersion qui s’attache avec passion aux spécificités du médium auxquelles de nombreux cinéastes ne font pas assez confiance. Sa caméra tremblotante, ou à l’inverse ses instants où le cadre se révèle extrêmement composé, se mêlent pour dépeindre la chute d’un monde et celle d’un homme qui n’a plus rien à perdre, nihilisme bouleversant quand nous partageons à l’image le vide qui envahit cet univers.
A la fois œuvre dévastatrice sur la souffrance du deuil et interrogation sur le libre arbitre et ses possibles conséquences, le long-métrage prend à bras le corps son sujet de revenge movie, et ne cherche pas à le détourner pour se croire plus malin. Cette profession de foi revigorante, qui ne se soucie d’aucune bien-pensance, nous met au contraire face à nos contradictions d’êtres humains, tout comme José assiste à sa transformation lentement mûrie vers le tueur méticuleux, qui malgré sa conviction, n’a aucune certitude que sa vengeance puisse lui retirer une partie de sa douleur. Raúl Arévalo soigne alors la relation qu’il entretient avec les personnages secondaires, parfois repentants ou innocents, à l’instar de la séduisante et sensible Ana (Ruth Diaz), quitte à ce que le réalisateur ne sache pas toujours quoi faire d’eux dans le dernier acte. Néanmoins, nous ne pouvons que constater que José devient lui-même le bourreau qu’il traque, amenant le récit vers des pics de violence viscéraux, telle cette scène avec un tournevis mise en scène avec un sens de la tension bluffante. Véritable petite claque aussi solide dans sa fabrication que profonde, La Colère d’un homme patient prouve avec panache que l’on peut beaucoup avec très peu.
Réalisé par Raúl Arévalo, avec Antonio de la Torre, Luis Callejo, Ruth Diaz…
Sortie le 26 avril 2017.