Alignant les mauvaises intentions, la nouvelle suite du classique de la SF horrifique finit d’enterrer la franchise.
Le principal problème pour le fan d’une saga réside dans la peur constante d’être déçu par le nouvel épisode touchant à l’univers qu’il chérit tant, surtout en ces heures où Hollywood nous nourrit jusqu’à l’overdose de franchises étendues et de revivals. Le fan peut dès lors paraître contradictoire, entre son envie d’être bercé par le souvenir des premiers temps, et celle d’être surpris. Et si un mauvais équilibre opère, le film risque de déclencher la colère monstre de son public cible. Cependant, détester le volet d’une licence n’est pas la pire chose qu’un fan est en la mesure de craindre, puisque cette haine peut lui permettre de mieux comprendre les raisons de son amour pour le ou les métrages précédents, et ainsi le raviver. Non, en réalité, la plus grande peur du fan est l’indifférence, une indifférence pour un projet qu’il sait déjà perdu d’avance, et qui en vient à réduire nécessairement l’impact des films initiaux dans son cœur de cinéphile, souvenir passionné amoindri au point de frôler l’oubli, comme celui d’un ancien amour qu’on a réussi à rejeter pour ne plus en souffrir. Il y a dans cette défense une forme d’auto-anesthésie, particulièrement visible en cette année 2017 pour les fanatiques de xénomorphes à la vue d’Alien : Covenant, nouvel opus de la mythique saga initiée par Ridley Scott, qui semble s’être transformé depuis le début de sa promotion en un non-événement pour une bonne partie de son audience – y compris l’auteur de ces lignes –, surtout après la déconfiture Prometheus, qui avait déjà bien entamé cet effet de lassitude.
Pourtant, le prequel non-assumé de 2012 avait au moins pour lui de chercher à sortir des gonds pour écrire tout un nouveau pan de mythologie, malheureusement desservi par un scénario déséquilibré qui forçait son propos métaphysique vulgaire, quitte pour cela à passer par des raccourcis aberrants. De toute manière, la démarche même de Prometheus, bien que reposant sur un postulat assez passionnant (lier la découverte des aliens à celle des créateurs de l’humanité), est déjà un non-sens total, puisque Alien n’a pas seulement posé des jalons dans la gestion du hors-champ afin de créer une œuvre horrifique fondamentale, mais a su utilisé le secret et le mystère pour toucher à notre peur primaire de l’altérité au sein d’un cosmos nous laissant face à notre propre impuissance. La menace devient alors à la fois externe et interne, à la fois inconnue et engendrée par un être humain, dans un espace sombre et froid que l’on ne pourra jamais pleinement comprendre.
Alien : Covenant semble donc dans une première partie tenter d’échapper au modèle de Prometheus, sans pouvoir y parvenir à cause des questions que celui-ci a laissé en suspens. Il se présente alors comme la seconde moitié d’un film que l’on aurait préféré voir, prisonnier d’un héritage avec lequel il tente maladroitement de raccrocher les wagons sans une once d’originalité. La particularité de la saga Alien a toujours été de reposer sur l’unicité de chaque volet, possédé par son réalisateur pour amener une nouvelle pierre à l’édifice. Ici, Scott recycle bêtement la narration de son chef-d’œuvre avec des colons partis à la recherche d’une nouvelle Terre à habiter, avant qu’ils ne reçoivent un signal de détresse provenant d’une autre planète qui pourrait leur convenir. Bien évidemment, l’expédition va rapidement tourner à la catastrophe, dans une programmation évidente, voire gênante, quand le cinéaste réexploite sans vergogne certains gimmicks (la partition de Jerry Goldsmith, l’oiseau buveur…). Mais surtout, alors qu’Alien a servi de véritable game changer pour les codes du cinéma d’horreur moderne, Covenant se complaît dans le slasher basique, nécessairement composé des personnages les plus débiles de l’univers, plus interchangeables les uns que les autres, ainsi que de séquences évidentes et inappropriées du genre, telle cette scène de douche torride interrompue par l’attaque d’un xénomorphe, énième exemple de punition de l’acte sexuel, inutile puisque l’alien est déjà, de son système de reproduction à son design, une pure métaphore des pulsions de vie et de mort liées au sexe, voire au viol.
Et c’est en cela qu’Alien : Covenant (tout comme Prometheus) se révèle rapidement exaspérant : Ridley Scott ressent le besoin de tout surexpliquer, à grands coups de poèmes ou de philo nietzschéenne, alors que le génie d’Alien résidait justement dans son épure toute cinématographique, qui engendrait sa puissance viscérale. Trop focalisé à donner un sens à un concept déjà vecteur de sens, le cinéaste passe complètement à côté de son sujet, et tout particulièrement en ce qui concerne ses créatures mythiques, censées pallier à leur absence dans Prometheus. Dès lors, Sir Ridley semble définitivement se moquer de nous, filmant par dessus la jambe et avec une absence totale de tension ses xénomorphes. Outre les incohérences qui déconstruisent au tractopelle la logique de la franchise (l’alien qui naît et gagne sa taille adulte en cinq minutes), les monstres sont réduits au second plan, malgré la présence de nouvelles formes de dérivations génétiques (un pré-alien albinos qui sort du dos de son hôte). De cette manière, Scott tente de nous aveugler en faisant passer son film pour un Giger-porn, explicité dans ce passage foutage de gueule où l’insipide Daniels (Katherine Waterston) tombe sur des croquis tout droit issus de l’imaginaire du designer du métrage original. Le pire, c’est qu’Alien : Covenant semble être conçu comme un hommage à toutes ces têtes pensantes qui ont fait le réussite du Huitième passager, tandis que son créateur n’est là que pour détruire point par point la saga. Les thématiques prométhéennes amenées par le précédent film deviennent plus que jamais une mise en abyme de la condition de Scott, passionné depuis quelques années (que l’on pourrait sommairement lier à la mort de son frère Tony) par le rapport à Dieu et à la création, mais surtout à la déconstruction d’un empire.
Ainsi, la misanthropie du réalisateur, qui peut parfois s’avérer bénéfique à un projet (notamment pour le sous-estimé Cartel) ne suffit pas à justifier le désintérêt qu’il porte en ses personnages, à l’exception de l’androïde David (toujours génialement interprété par Michael Fassbender), anti-Ripley qui devient presque le héros négatif du film, en même temps qu’un protagoniste à la portée presque autobiographique du cinéaste. Ridley Scott lui offre les rares scènes réussies de l’entreprise, principalement lorsqu’il fait face à Walter, autre androïde qui partage son visage. Sa frustration liée à son incapacité de créer, et motivée par sa haine envers les humains, voire même de leurs pères (il décime les Ingénieurs, une manière pour lui de dépasser les dieux) est plutôt pertinente, mais peine à se mêler à tous les autres films qu’Alien : Covenant veut être à la fois. Et ce n’est pas son twist évident qui permet d’empêcher le vide immense que ressent le fan une fois les lumières de la salle rallumées, avec cette sensation d’avoir vu un projet inutile, qui ne va nulle part et ne raconte rien. Néanmoins, en échouant constamment sur la moindre de ses ambitions, et en violant littéralement la saga, ce nouveau volet parvient à ne pas faire tomber le fan dans l’indifférence. En y repensant, il ne peut que le haïr, énumérer ses erreurs et les comparer à ses souvenirs d’un film légendaire, avec la certitude rassurante qu’il subsistera à son cinéaste persuadé d’être Dieu.
Réalisé par Ridley Scott, avec Michael Fassbender, Katherine Waterston, Billy Crudup…
Sortie le 10 mai 2017.