Film d'ouverture de la soixante dixième édition du festival de Cannes, Les Fantômes d'Ismaël est un drame loufoque. Complètement punk dans son montage et dans sa narration, Arnaud Desplechin, habitué de la croisette, nous offre un long-métrage qui risque d'en décontenancer plus d'un. Si l'idée d'un triangle amoureux entre Mathieu Amalric Charlotte Gainsbourg et Marion Cotillard promet beaucoup de glamour, il ne faut s'attendre à rien de classique. Des dialogues théâtraux, des changements brutaux de cadrage, et surtout beaucoup de va-et-vient entres les différents segments narratifs, Desplechin résume parfaitement son œuvre avec cette phrase : " il me semble avoir inventé une pile d'assiettes de fiction, que je fracasse contre l'écran. Quand les assiettes sont toutes cassées, eh bien, le film s'achève ".
Desplechin parle pour ce long-métrage de cinq films en un. Une histoire d'espionnage (segment porté par Louis Garrel), l'histoire de la disparition d'une fille pour son père, celle d'une femme gérant le deuil et les insomnies de son conjoint, les retrouvailles tourmentées d'un couple après une vingtaine d'années de séparation et le tournage catastrophe d'un film. Cinq histoires abordant notamment des thématiques fortes telles que le deuil, la peur, la disparition, la folie ou encore l'onirisme. Il est intéressant d'observer comment Desplechin a joué de manière presque surréaliste avec le thème de la disparition. On y retrouverait presque une démarche semblable à celle de George Perec.
Car admettons-le, Les Fantômes d'Ismaël est avant tout un exercice de style. Un magnifique exercice de style, mais un exercice de style quand même. Fortement inspiré par Fellini, on peut même y voir des influences Shakespeariennes. La récurrence des cauchemars, et des rêves est un trait commun à l'écriture du dramaturge anglais et du réalisateur italien, et Desplechin n'hésite pas à reprendre cet entremêlement de passions et de souffrance pour en faire un drame portant sa marque de fabrique. Comme pour ses précédents long-métrages le film impose de nombreuses scènes de disputes, de déchaînement de passion. Là où Desplechin recrée quelque chose de plus théâtral, c'est que la plupart des scènes sont construites comme des huis-clos ou deux protagonistes se permettent de rapporter les propos d'un tiers personnage. Le film n'est donc pas sans me rappeler une œuvre dense telle que Le songe d'une nuit d'été.
Et enfin, les personnages sont à la hauteur des acteurs ! Sixième collaboration entre Matthieu Amalric et Arnaud Desplechin. Le réalisateur a su encore une fois mettre en exergue tout le talent de celui que l'on peut aisément classer parmi les meilleurs acteurs français. Il est épaulé par un Louis Garrel, qui pour une fois ne porte pas son costume de titi parisien, et qui nous offre un personnage d'espion/surdoué/ perdu tout en nuances. Quand aux rôles féminins, la douceur de Charlotte Gainsbourg n'a d'égale que la folie du personnage de Marion Cotillard. Des personnages contrastés et intéressants, incarnés par des acteurs absolument parfaits.
In fine, Les Fantômes d'Ismaël annonce-t-il le ton de cette nouvelle édition cannoise ? Un film entier, sans concession, peu accessible pour un public non-initié au cinéma d'auteur, un film qui ne tente à aucun moment de rentrer dans un quelconque carcan cinématographique. Il est aussi facile de se demander si on vient de perdre deux heures de sa vie que d'adorer ce long-métrage et de crier au génie en sortant de la salle. Les fantômes d'Ismaël fera partie des films qui vont faire débat sur la croisette, tout en mettant tout le monde d'accord sur la performance magistrale du casting au complet, que l'on aime le film ou non.
Arnaud DesplechinCannesCannes 2017Charlotte GainsbourgLes fantomes d'ismaelMarion CotillardMathieu Amalric