Une vingtaine de bêtes sont envoyées dans différentes zones de la planète, pour y être élevées selon des méthodes ancestrales et artisanales. Au bout de dix ans, elles participeront à un concours, censé établir quelles sont les meilleures façons d’obtenir les animaux les mieux portants.
Parmi elles, on trouve Okja, qui s’épanouit auprès de la petite Mija et son grand-père, dans une zone montagneuse de Corée du Sud. Entre la petite orpheline et la super-truie (c’est une femelle) s’est nouée une relation particulière, faite d’amitié et de confiance mutuelle. Pour Mija, il est impossible de laisser Okja quitter la ferme. Elle a demandé à son grand-père de la racheter une fois que le concours sera terminé. Mais Miranda refuse. Elle a d’autres projets pour Okja, qui est sans conteste le plus beau et le plus fort animal du concours. Son destin, passée la grande opération de communication organisée à New York, est d’être analysée en laboratoire, sous toutes les coutures, de servir de matrice à toute une génération de porcelets 2.0 avant d’être découpée en saucisses, côtelettes ou filets mignons…
Quand son grand-père lui avoue qu’il a échoué à racheter Okja, la truie est déjà en route pour les Etats-Unis. Qu’à cela ne tienne ! Mija est prête à tout pour récupérer sa meilleure amie. Et elle n’est pas la seule à vouloir soustraire l’animal à Mirando. Un groupuscule du Front de Libération Animale veut démontrer que la compagnie maltraite les animaux et que ses méthodes d’élevage sont tout sauf naturelles et saines.
On sait depuis longtemps Bong Joon-ho sensible à la cause écologiste. Le monstre de The Host était issu de la pollution marine. Les réfugiés du Transperceneige essayaient de survivre dans ce qui constituait le dernier rempart contre une nature hostile, bouleversée par le réchauffement climatique. Ici, il signe un film engagé pour la cause animale, contre l’élevage intensif et les protocoles d’abattage cruels, le tout sous la forme d’un joli petit film d’aventures, dans l’esprit du E.T. de Steven Spielberg ou de Mon voisin Totoro d’Hayao Miyazaki et bifurquant parfois vers le burlesque, par le biais de personnages secondaires hauts en couleurs (Jake Gyllenhaal en vétérinaire frappadingue, Paul Dano en activiste du FLA et sa clique d’extrémistes végans, Tilda Swinton dans un double rôle de patronne psychopathe…).D’aucuns trouveront sans doute cela un peu trop enfantin, pour ne pas dire niais. Ils oublient un peu la dernière partie du film, plus inquiétante, plus pessimiste et amère, qui se déroule dans les abattoirs de Mirando.
Le cinéaste ne cache rien du sort des animaux, parqués dans des conditions d’hygiène et de sécurité douteuses, suspendus par les pattes et exécutés froidement, mécaniquement, avant d’être débités en morceaux, attendant de finir dans nos assiettes. Pas sûr que les plus jeunes spectateurs vivent bien ces séquences-là… Ne vous étonnez pas si vos enfants rechignent à finir leur burger au fast-food et attendez-vous à ce que le film occasionne toute une génération de petits végans…
L’oeuvre, par ailleurs, se veut relativement pessimiste. Le cinéaste sait bien que le combat contre les multinationales est perdu d’avance. L’argent est roi et, la planète étant confrontée à surpopulation et problèmes climatiques, l’optimisation des méthodes de production par le biais d’agents chimiques ou biotechnologiques est inévitable. Ce n’est qu’en respectant les règles du systèmes capitaliste que Mija pourra récupérer Okja et en disposer à sa guise. Il semble se contenter de défendre les méthodes d’agriculture et d’élevage traditionnelles, poches de résistance locales contre ces ogres agroalimentaires. Mais on devine, à travers son film qu’il est clairement du côté des activistes. Tout en se moquant gentiment des plus extrémistes d’entre eux, il semble inciter à l’action, aux coups d’éclat flamboyants…
On peut aussi ajouter un autre niveau de lecture à cette fable d’anticipation. La dernière séquence dans l’abattoir évoquera sans doute aux spectateurs d’autres images, liées, cette fois à des pages sombres de l’histoire de l’humanité, celles des camps de concentration nazis, où des êtres humains étaient massacrés comme du bétail. Peut-être le cinéaste a-t-il juste voulu effectuer un parallèle un peu naïf et maladroit entre la Shoah et le massacre des animaux d’élevage, mais on veut le croire un peu plus intelligent et subtil que cela. Sans doute cette fable a-t-elle pour but de faire réfléchir les êtres humains sur leurs actions belliqueuses, leur soif de pouvoir sans fin, leur cupidité, leur exploitation inconséquente des ressources de la planète, qui les poussent vers leur propre perte. En somme, la plupart des thèmes habituels du cinéaste sud-coréen. Dès lors, Okja doit moins être considéré comme un aimable divertissement que comme un film politique engagé, s’inscrivant dans la logique d’une filmographie imposante. Une oeuvre qui a sa place en compétition officielle à Cannes, loin des polémiques stériles…