Le Cinéphile Intrépide vous livre ses impressions sur sa première journée cannoise.
C’est avec un peu de retard que commence mon Festival de Cannes. Malgré l’horaire matinal, l’euphorie me gagne. Peu importe le manque de sommeil, l’aventure s’annonce belle et riche, et mérite toute mon attention.
J’embarque alors pour le nouveau film de Bong Joon-Ho, Okja. Il y a forcément beaucoup d’attentes, il faut se rappeler de The Host par exemple, autre film de monstre que le cinéaste avait signé avec une virtuosité incomparable. Le coréen récidive donc ici, en racontant l’histoire de Mija, une petite fille très attachée à Okja, son fidèle compagnon, un cochon géant, que son grand-père a élevé après en avoir hérité d’une multinationale aux dents longues. Seulement, après des années, la firme ressurgit et s’empare d’Okja, avec l’intention de le faire participer à un concours absurde avec d’autres créatures semblables, toutes conçues en laboratoire. Mija se met alors en tête de sauver son ami coûte que coûte. Si le réalisateur s’illustre dans une veine plus familiale, il n’en perd pas pour autant son mordant et son sens de la dénonciation critique. Porté par un humour dévastateur, l’intrigue met néanmoins en lumière une situation extrêmement grave sur la condition des animaux. Cela étant, l’histoire d’amitié qui lie Mija et Okja amène une part d’innocence qui rééquilibre le récit. Entre moments apaisés et scènes survoltées, il faut voir Jake Gyllenhaal à l’oeuvre dans le rôle d’un présentateur ubuesque, le film ne s’y perd jamais, toujours dans ce mélange des genres si particulier qu’affectionne le cinéaste.
Deuxième projection : The Square de Ruben Ostlund. A vrai dire, je ne connais du réalisateur que son incroyable Snow Therapy, étude de couple exigeante et passionnante qui m’avait tant plu en 2015. Si je ne savais quasiment rien de son nouveau long-métrage, je pouvais au moins compter sur une vision de cinéma tout à fait singulière… et ce fut bel et bien le cas. À partir d’un dispositif simple, le « carré », figure centrale qui parcourt tout le film, Ostlund dresse un constat peu amène de nos sociétés contemporaines. Théorisant parfois à l’excès sa démonstration, The Square échappe de peu à l’exercice cynique. Heureusement, l’inspiration et les idées de génie ne manquent pas, surtout lorsqu’elles impliquent l’Art Moderne. Un sujet qui renvoie à l’absurdité du monde décrit tout le long, entre individualisme et altruisme, ordre et chaos. Impossible d’oublier cette scène de « performance » tétanisante, où un homme débarque en plein dîner mondain, adoptant les attitudes d’un singe. La mise en scène impressionne, sur-cadrant à l’envie des tableaux dans le tableau, redoublant le discours d’un film qui ne laisse de toute évidence pas indifférent.
Enfin, ma première journée s’est conclue avec un sérieux prétendant à la Palme d’Or. J’ai nommé 120 battements par minute de Robin Campillo. Sur le papier, rien de particulièrement stimulant ou insolite. Un groupe d’activistes se lance dans un combat forcené pour lutter contre les ravages du SIDA et l’indifférence qu’il suscite. Telle est la prémisse d’un film qui opte pour un traitement à la fois réaliste et poétique. Le collectif dicte la mise en scène, les échanges fusent dans des joutes verbales d’une folle authenticité, valorisant une troupe de jeunes comédiens impeccablement dirigés. Si le dernier acte s’étire légèrement, l’intensité qui anime les personnages est palpable de bout en bout. Même quand la mort menace, la vie bouillonne à l’écran, les corps rentrent en transe et ne s’économisent jamais. La relation entre Nathan et Sean porte en ce sens toute l’émotion du film et culmine lors de très beaux moments d’intimité. Bref, vous l’aurez compris, 120 battements par minute risque fort de marquer les esprits.