Le nouveau long-métrage de Robin Campillo suit un groupe de militants parisiens, au début des années 1990. Il montre leurs réunions hebdomadaires, durant lesquelles les membres échangent leurs idées et opposent leurs arguments, parfois de manière assez véhémentes. Thibault (Antoine Reinartz), le président, appelle à la modération, cherchant à imposer l’association comme une entité sérieuse et fiable, incontournable lors des tables rondes entre les pouvoirs publics, les laboratoires de Recherche et les autres associations, AIDES en tête. Tout comme Sophie (Adèle Haenel), qui se retrouve pourtant toujours en première ligne lors des manifestations, insensible aux intimidations des CRS. Sean (Nahuel Pérez Biscayart) et Max (Félix Maritaud) sont plus rebelles. Ils sont contre les palabres inutiles. Ils veulent frapper vite et fort. Ils proposent des actions spectaculaires, des opérations radicales destinées à remuer le passant, persuadé, à cette époque, que le SIDA est une maladie réservée aux homosexuels et aux drogués.
Il y a aussi ceux qui se sont engagés pour obtenir justice, comme Hélène (Catherine Vinatier) et son fils, hémophile contaminé lors d’une transfusion.
Les petits nouveaux cherchent, eux, à trouver leur place dans la structure. Ils apprennent les règles du groupe – on respecte le temps de parole, on claque des doigts au lieu d’applaudir, pour ne pas gêner les orateurs, on suit les directives votées. Les décisions se prennent de manière collégiale, mais chacun arrive à trouver à peu près sa place dans la structure. Le groupe prépare des manifestations, rédige des tracts dont chaque slogan est débattu et approuvé par l’assemblée (ou rejeté, si trop mièvre). Il se lance dans de grands brainstorming pour dynamiser un peu les gay-prides, ces “défilés de zombies”, comme les appelle l’un des membres. Surtout, il réfléchit aux actions à mener pour dénoncer la ringardise des plans de prévention, trop “politiquement corrects”, le manque de communication des laboratoires pharmaceutiques, ou le scandale du sang contaminé et le manque de courage de ces politiques “responsables mais pas coupables”. Issus de la communauté gay et lesbienne, ils essaient aussi de faire changer les mentalités vis-à-vis de l’homosexualité, menant un travail pédagogique dans les collèges et lycées, souvent contre l’avis des professeurs les plus conservateurs.
Durant les trois quarts du film, on pense que la démarche de Robin Campillo est de réfléchir aux contours de l’action politique, de rendre hommage à ces pionniers qui ont beaucoup oeuvré pour défendre les droits des séropositifs et des malades du SIDA, qu’il cherche à remettre leur action dans le contexte de l’époque, quand l’épidémie était peu connue et que son ampleur était minimisée par les autorité, pour mieux parler d’aujourd’hui et du retour de comportements à risque chez les jeunes, suite à une banalisation de la maladie et de l’émergence des trithérapies, de plus en plus efficaces pour freiner l’avancée de la maladie.
Mais le film choral finit par se fixer petit à petit sur un personnage en particulier, celui de Sean. C’est l’un des fondateurs du mouvement et l’un de ses membres les plus enragés. Son énergie séduit Nathan (Arnaud Valois), l’un des petits nouveaux, qui tombe illico amoureux de lui. Et elle dynamise le groupe. Hélas, elle n’est pas suffisante pour enrayer la maladie. Son taux de lymphocytes T4 chute inexorablement, de jour en jour, et les signes de la maladie le gagnent peu à peu. Un début de syndrome de Kaposi laisse à penser que le virus gagne du terrain…
A partir de là, Campillo fait le choix du mélodrame médical pur jus. Il va nous montrer la lente déchéance physique de Sean, saisir sur son visage sa peur grandissante de mourir, filmer son abandon progressif du combat. Et même si le cinéaste fait des efforts pour rester sur le registre de la subtilité et la pudeur, il n’évite pas totalement l’écueil du pathos. On a un peu l’impression que le personnage est sacrifié pour nous arracher un maximum de larmes, jeté en pâture aux spectateurs en mal d’émotions fortes… Mais quel dommage que le film sombre dans cette facilité! Comme s’il avait besoin de cela pour convaincre…
Bien sûr, on sort de la projection avec l’oeil humide. A moins d’avoir un coeur de pierre, impossible de ne pas être bouleversés par ce décès d’un personnage auquel on s’est attachés, patiemment, au gré des séquences. Difficile de ne pas verser sa larme devant cette jeunesse brisée, devant cet amour interrompu brutalement, devant cette réunion de vieux copains, soudés pour supporter la perte de leur ami, par la détresse de la mère du disparu. Comme il était impossible de ne pas pleurer toutes les larmes de son corps devant le Philadelphia de Jonathan Demme, réalisé il y a presque vingt-cinq ans ou à la mort d’Ali MacGraw dans Love Story, il y a presque cinquante ans… C’est le principe du mélodrame : quand un personnage principal meurt à l’écran, c’est émouvant. Mais cela n’a rien de très original, ni de très subtil. Surtout si la séquence traîne en longueur, comme ici.
Pourtant, on comprend l’idée de Robin Campillo : montrer la mort elle-même comme un acte militant, montrer comment le collectif soutient l’acte individuel, du début jusqu’à la fin… Effectivement, alors que l’on pensait Sean vaincu par la maladie, il se ressaisit en la prenant de vitesse, en choisissant du moment de sa mort – par euthanasie- et en décidant de faire de ses funérailles un acte politique à part entière.
C’est effectivement un parti-pris respectable, mais toute cette construction mélodramatique nous semble malgré tout trop lourde, trop présente, un peu trop facile.
Pourquoi ne pas avoir terminé le film sur cette idée, très poétique, d’une Seine devenue rouge sang, comme le poison qui coule dans les veines des séropositifs, mais aussi comme le torrent de vie qui circule en chacun? Pourquoi montrer cette mort là plutôt que celle d’un autre membre du groupe ? Pourquoi insister sur ce personnage plutôt que de montrer les drames auxquels tous les autres sont confrontés?
Nous ne sommes pas fans des récits choraux, mais ici, dans une fresque de cette durée, avec autant de protagonistes intéressants, un récit foisonnant, passant d’une histoire à une autre, d’un personnage à l’autre, aurait été pleinement justifié.
Ceci dit, 120 battements par minutes fonctionne bien. C’est un beau film, mené sans baisses de rythme, ponctué par les happenings coup de poing et les fêtes endiablées. Il est porté par des jeunes comédiens quasiment inconnus, mais épatants. Et la mise en scène, à défaut d’être révolutionnaire, accompagne parfaitement les mouvements des personnages. Il est fort à parier que, suite au bouche-à-oreille cannois, il rencontrera un joli succès en salles. Mais on maintient que pour la Palme d’Or, on préférerait un film moins évident, qui réussit à faire passer les émotions par la mise en scène plutôt que des artifices mélodramatiques qui fonctionnent à tous les coups…