[Cannes 2017] Jour 5 : Les Aliens débarquent !

Par Boustoune

On se demande souvent pourquoi Jean-Luc Godard ne fréquente plus trop le festival de Cannes, ces dernières années, après en avoir été l’un des principaux animateurs. Eh bien cette édition 2017 apporte quelques éléments de réponse. Après avoir vu sa goujaterie et son cynisme étalés au grand jour par Agnès Varda, dans l’une des dernières scènes de son film Visages Villages, voilà qu’il devient carrément un personnage comique dans Le Redoutable, où il est dépeint comme un intellectuel bourgeois tentant de se muer en révolutionnaire maoïste. En même temps, cette image de misanthrope radical, seul contre tous, il l’a cultivée lui-même, s’enfermant peu à peu dans son personnage de JLG, plus vraiment Godard, plus tout à fait Jean-Luc. Passe encore, donc, qu’il soit décrit comme un sale gosse provocateur – cela devrait même plutôt l’amuser… Passe encore qu’il soit incarné par un Louis Garrel pris en flagrant délit de cabotinage, insistant sur le zézaiement pour reproduire le phrasé singulier de son modèle, et accentuant son côté dandy tête-à-claques. Mais voir son cinéma caricaturé par un type comme Michel Hazanavicius qui n’a jamais rien prouvé, si ce n’est sa cinéphilie et son aptitude à copier l’esthétisme et les codes des films d’antan, ne devrait pas spécialement enchanter le chef de file de la Nouvelle Vague.
Ici, vulgairement empilés les uns sur les autres et sources de gags idiots, tous les effets inventés par Godard dans les années 1960/1970 ressemblent à des gadgets ridicules. Le côté libre et révolutionnaire de ses oeuvres est piétiné, raillé, méprisé. Tout ça pour quoi? Un film qui se veut une brillante réflexion sur le 7ème Art et la difficulté de le révolutionner, mais qui, au final, ressemble à une grosse parodie, JLG 1968 à la place de OSS 117. On comprend que le film ait été sélectionné à Cannes, pour le clin d’oeil à l’édition avortée de 1968, perturbée par Truffaut, Godard et quelques autres cinéastes en colère. Mais on attend autre chose d’un film en compétition officielle que cette insupportable comédie, qui gâche un sujet en or avec son humour potache, ses tics de mise en scène et le cabotinage de Louis Garrel, en roue libre.


On préfère la finesse d’écriture et la direction d’acteurs de Noah Baumbach, même si The Meyerowitz stories n’a rien de franchement novateur. Le nouveau long-métrage du cinéaste américain est articulé autour des retrouvailles d’une fratrie, composée de Danny (Adam Sandler), Matthew (Ben Stiller) et Jean (Elizabeth Marvel), après que leur père (Dustin Hoffman), a été admis à l’hôpital, victime d’un oedème cérébral. L’obligation de devoir cohabiter les uns avec les autres, le temps de quelques jours, réveille de vieux contentieux, ravive rivalité et jalousies, et occasionne de joyeux règlements de comptes.
Ainsi, le cinéaste peut traiter de thèmes qui lui tiennent à coeur, comme la difficulté de trouver sa place dans une famille nombreuse et recomposée, ou du nécessaire besoin qu’ont les enfants de s’émanciper de la tutelle parentale, ausi écrasante soit-elle.
D’aucuns trouveront probablement le film trop bavard et trop classique formellement, mais The Meyerowitz stories n’en demeure pas moins une jolie petite comédie dramatique, prétexte à quelques beaux numéros d’acteurs.


On pourrait dire à peu près la même chose du film de Hong sang-soo présenté hors compétition, Claire’s camera. Un film court (1h10), réalisé en quelques jours lors du festival de Cannes 2016, sur un coup de tête, et qui repose exclusivement sur de longues scènes de dialogues. L’argument narratif est d’une simplicité élémentaire : Man-hee (Kim Min-hee), employée d’une société de production, est licenciée par sa patronne en plein pendant le festival de Cannes, sans réel motif, juste parce que celle-ci ne lui fait plus confiance. Elle traîne un peu sur la plage en attendant de retourner au pays. Elle y rencontre Claire (Isabelle Huppert), une enseignante parisienne, qui accompagne une amie venue présenter un film au festival de Cannes.
Un peu plus tard, Claire sympathise avec Wan-soo, un célèbre cinéaste sud-coréen et son épouse, qui se trouve être… l’ancienne patronne de Man-hee.
Ces deux rencontres, ponctuées par les photographies que Claire prend avec son appareil polaroïd, vont modifier les relations entre Wan-soo et son épouse, et permettre à Man-hee de retrouver son emploi.
Ce scénario, inspiré, comme celui de son opus précédent, On the beach at night alone, du scandale causé par la liaison supposée de Hong Sang-soo et de son actrice Kim Min-hee, permet au cinéaste de traiter une fois de plus de la volatilité des sentiments humains et des vertus du hasard et des rencontres.
Là encore, on trouvera des râleurs pour critiquer le manque d’originalité du sujet et l’absence de prise de risque de la part de Hong Sang-soo. Mais il feraient mieux de profiter des films avant qu’il ne soit trop tard, parce que figurez-vous que la planète est menacée. Les extra-terrestres sont à nos portes, avec leurs moeurs étranges et leurs intentions belliqueuses.


Ceux du film de Kiyoshi Kurosawa, Avant que nous disparaissions, présenté dans le cadre de Un Certain Regard, ont clairement l’intention d’envahir la planète, non sans l’avoir préalablement débarrassée de ses occupants. Trois d’entre eux sont envoyés en éclaireurs. Le premier prend le contrôle d’une adolescente et l’oblige à massacrer sa famille, avant de prendre la route, occasionnant encore quelques catastrophes au passage. Il a pour mission de construire l’émetteur qui donnera le feu vert à l’invasion. Le second se glisse dans le corps d’un jeune homme et se met à collectionner des concepts inventés par les humains (Qu’est-ce que la famille, le travail, la liberté,… ?), les en dépossédant au passage, ce qui les laisse dans un état catatonique, amputés d’une partie de leurs repères. Il oblige un jeune journaliste à lui servir de guide pour retrouver ses deux autres congénères. Le troisième, un peu sonné, se retrouve dans la peau d’un homme devenu partiellement amnésique après un accident de voiture. Comme lui, il doit tout (ré)apprendre. Son épouse décide de l’aider à se réadapter au monde qui l’entoure, et de lui rappeler les choses essentielles. C’est peut-être elle qui détient la clé de la survie de l’humanité.
Kiyoshi Kurosawa profite de cette fable de science-fiction, formellement surprenante, pour parler des travers de notre civilisation, des comportements qui, peu à peu, nous conduisent à notre perte. Comme l’explique l’alien à son guide, “De toute façon, votre civilisation n’en avait plus qu’une centaine d’années à vivre. Nous accélérons juste un peu le processus…” . Il fustige les agités de la gâchette, désireux de partir en guerre contre tout et tout le monde, à la première occasion, les comportements égoïstes, l’obsession  de la réussite et la déliquescence de la cellule familiale. Mais il montre aussi que, sans certaines notions essentielles, l’être humain n’est plus qu’une coquille vide.


Ceux de How to talk to girls at parties sont moins politisés, mais ont un côté punk assez réjouissant. John Cameron Mitchell suit un groupe d’adolescents londoniens des années 1970, fans du mouvement punk et
avides, comme les jeunes de leur âge, de connaître leurs premières expériences sexuelles. Une nuit, alors qu’il cherchent à s’incruster à une fête privée, après un concert punk, ils se trompent de point de chute et tombent en  plein dans le repaire d’un groupe d’extra-terrestres dont les intentions semblent assez obscures. Comme ils parlent beaucoup du grand repas qu’ils doivent effectuer avant de repartir pour leurs planètes d’origine, on se dit que cela ne va pas être une partie de plaisir pour les terriens. Mais les adolescents ne réalisent pas le danger. pour eux, ce sont juste des personnes un peu excentriques, à contre-courant des modes vestimentaires de l’époque, comme le mouvement punk. Et puis, il y a plein de filles ultra-sexy et ouvertes à la discussion, comme les stellas, avec leurs combinaisons moulantes en latex ou, dans un genre plus sobre, cette jolie blonde aux grands yeux (Elle Fanning), punkette parmi les aliens, qui cherche à fuir les E.T. de son espèce pour aller fricoter avec les humains, même si la récréation ne doit durer que 48 heures…
Dans cette comédie de SF, John Cameron Mitchell retrouve un peu de l’énergie qui irriguait Hedwig & the angry inch, son manifeste rock’n roll. Il se fait plaisir en créant un environnement futuriste gay-friendly, truffé d’éléments visuels évoquant l’homosexualité ou le sado-masochisme – une façon de dire que, dans les années 1970, les gays étaient un peu perçus comme les occupants d’une planète lointaine, et il nous fait plaisir en offrant au duo Elle Fanning/Alex Sharp l’occasion de chanter un punk-rock débridé!
Bon, la probabilité d’être croqués par ces extra-terrestres là est assez faible. On sera un peu plus prudents en cas d’approche des stellas, qui ont un pouvoir assez… pénétrant.


Dans le pire des cas, on pourra faire appel à The Villainess, l’héroïne du film d’action sud-coréen  présenté en séance de minuit, pour nous débarrasser d’eux efficacement. Apparemment, l’oeuvre a électrisé la Croisette, offrant aux festivaliers noctambules leur lot de sensations fortes…

A moins que Mars attaque la Croisette pendant la nuit ou que Godard ne débarque pour interrompre l’édition 2017 du Festival de Cannes, à demain pour la suite de nos chroniques cannoises.